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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/840

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ARRIEN, LIV. IV.

récits, sans autorité, que ses propres écrits étaient au-dessus des exploits d’Alexandre, qu’il ne s’en était point approché pour acquérir de la gloire, mais pour lui en donner, et que ce prince devait attendre l’immortalité de l’histoire qu’il écrivait, et non des contes qu’Olympias avait faits sur sa naissance. D’autres racontent que Philotas lui demandant un jour quel était le héros le plus honoré chez les Athéniens, il lui répondit : « Un tyrannicide, c’est Harmodius, c’est Aristogiton. » Philotas insistant : « Et dans quel pays des Grecs le tyrannicide pourrait-il trouver un refuge ? » — « Chez les Athéniens. Les Athéniens ont défendu les fils d’Hercule contre la tyrannie d’Eurysthée. »

Callisthène s’opposa aux honneurs et divins que réclamait l’orgueil d’Alexandre. Voici les faits.

Alexandre était convenu avec les sophistes, et les grands de la Perse qui composaient sa cour, de faire tomber à table la conversation sur cet objet. Anaxarque prenant la parole, avance qu’Alexandre a plus de droits aux honneurs divins qu’Hercule et Bacchus, dont il a surpassé les exploits par le nombre et la grandeur des siens ; que ce héros est leur prince, et que les autres étaient étrangers, l’un de Thèbes et l’autre d’Argos ; que le seul titre de ce dernier était de compter parmi ses descendans, Alexandre à qui la postérité élèverait des autels après sa mort ; qu’il était convenable de lui décerner, dès son vivant, des honneurs qu’il pourrait sentir et reconnaître.

Anaxarque ajouta plusieurs autres considérations à ce discours. Déjà les courtisans qui étaient dans le secret de cette proposition, commençaient à se prosterner pour adorer le prince : les Macédoniens gardent un silence de désapprobation ; et Callisthène le rompant le premier :

« Oui, sans doute Alexandre est digne des plus grands honneurs qu’un mortel puisse recevoir ; mais la sagesse a établi une différence entre ceux que l’on doit aux Dieux et ceux que l’on accorde aux hommes. On érige aux Dieux des temples, des autels ; aux hommes, des statues ; les sacrifices, les libations, les hymnes sont pour les Dieux, il reste aux hommes nos éloges. La Divinité est reculée dans le sanctuaire, on ne peut en approcher, on l’adore ; on aborde l’humanité, on la touche, on la salue. Au milieu de ces fêtes, de ces chants en l’honneur des Dieux, on assigne cependant à chacun d’entre eux, un culte distinct, comment n’en séparerait-on pas les hommages rendus aux héros ? Il n’est point convenable de confondre tous ces rapports, soit en lui élevant les hommes jusqu’aux Dieux, soit en ravalant les Dieux jusqu’aux hommes. Alexandre permettrait-il qu’un particulier usurpât le titre et les prérogatives de la royauté ? Les Dieux doivent-ils être moins indignés de voir un simple mortel affecter ou obtenir leurs honneurs suprêmes ? Qu’Alexandre soit le premier des héros, le plus grand des rois, le plus illustre des capitaines, qui peut en douter, Anaxarque ? Mais n’était-ce pas à toi, dont il consulte l’éloquence et la philosophie, à le dissuader de cet excès. Tu devrais te souvenir que tu ne parles pas ici à quelque Cambyse, à quelque Xerxès, mais au fils de Philippe, mais au descendant d’Hercule et d’Achille, mais à un prince dont les ancêtres, venus d’Argos dans la Macédoine, n’y ont point obtenu l’empire par la force et la violence, mais conformément à nos lois. Hercule ne reçut pas les hon-