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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/865

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ARRIEN, LIV. V.

plus forts et en plus grand nombre que partout ailleurs.

Ces récits enflammaient l’ambition d’Alexandre. Mais les Macédoniens commençaient à perdre courage, en voyant leur prince entasser travaux sur travaux, dangers sur dangers ; des groupes se formaient dans le camp ; les plus retenus déploraient leur condition, les autres menaçaient de ne pas marcher.

Instruit de ce commencement de trouble et de découragement, Alexandre, pour l’arrêter à sa naissance, rassemble les chefs, et alors : « Macédoniens compagnons de mes travaux, puisque vous ne les partagez plus avec la même ardeur, je vous ai convoqués pour vous amener à mon avis ou me ranger au vôtre, pour avancer ou retourner ensemble ; que si vos exploits, si votre général vous pèsent, il n’a plus rien à vous dire. Mais s’ils vous ont acquis l’Ionie, l’Hellespont, les deux Phrygies, la Cappadoce, la Paphlagonie, la Lydie, la Carie, la Lycie, la Pamphilie, la Phénicie et l’Égypte, tout ce que les Grecs occupent de la Lybie, une part de l’Arabie, la Cœlo-Syrie avec la Mésopotamie, Babylone et le pays des Susiens ; si vous avez subjugué les Perses, les Mèdes et les peuples acquis ou soustraits à leur domination. Si vous avez porté vos trophées au-delà des Pyles carpiennes, du Caucase et du Tanaïs ; soumis la Bactriane, l’Hyrcanie, la mer Caspienne, et repoussé les Scythes dans leurs déserts ; si l’Indus, l’Hydaspe, l’Acésinès et l’Hydraotès coulent aujourd’hui sous nos lois, qu’attendez-vous pour ajouter à notre empire l’Hyphasis et les nations au-delà de ses bords ? Craindriez-vous aujourd’hui des Barbares, vous qui les avez vu fuir devant vous, abandonner leur pays et leurs villes, ou les remettre à votre courage et marcher ensuite sous vos étendards ? Il n’est sans doute pour des cœurs généreux de fin aux travaux que dans les travaux mêmes qui les immortalisent. Si quelqu’un d’entre vous en demandait le terme, qu’il sache que nous n’avons pas loin d’ici au Gange et à la mer orientale, qui se réunit à celle des Indes, au golfe Persique et embrasse le monde ; du golfe Persique nous remontons jusqu’aux colonnes d’Hercule, et soumettant l’Afrique comme l’Asie, nous prendrons les bornes du monde pour celles de notre empire.

Que si nous rebroussions chemin, voyez que nous laissons derrière nous un grand nombre de peuples belliqueux ; au-delà de l’Hyphase, tous ceux qui s’étendent vers la mer orientale ; au nord, tous ceux qui habitent les bords de la mer d’Hyrcanie et les Scythes. À peine aurons-nous commencé notre retraite, qu’un soulèvement général renversera nos conquêtes encore mal affermies. Ceux que nous n’avons point subjugués entraîneront les autres. Il faut donc perdre tout le fruit de nos travaux, ou les continuer. Courage, compagnons : affermissez-vous dans la carrière des braves : elle est pénible, mais honorable ! Cette vie du courage a ses charmes ; la mort même n’en est point exempte, quand elle consacre le guerrier à l’immortalité. Notre père et notre guide, Hercule, serait-il monté au faîte de la gloire, au rang des Dieux, s’il s’était lâchement renfermé dans les murs de Corinthe, d’Argos et de Thèbes, ou dans les bornes du Péloponnèse ? Dionysus, plus célèbre encore, n’a-t-il tenté que des entreprises ordinaires ? Et nous, qui avons passé Nysa, bâtie par Dionysus, nous, maîtres d’Aorne, qui brava les efforts d’Hercule, nous hésiterions à faire un pas de