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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/867

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ARRIEN, LIV. V.

des plus hautes espérances, elle ne songera qu’aux récompenses, à la vue des richesses et des lauriers que vos vieux compagnons rapporteront dans leurs foyers. Prince, il est beau de garder de la modération au comble de la prospérité. Un aussi grand capitaine qu’Alexandre, et à la tête d’une pareille armée, n’a sans doute rien à craindre de ses ennemis. Mais les coups du sort sont inopinés, et les destins inévitables. »

L’assemblée reçut par des applaudissemens universels le discours de Cœnus, et témoigna par des larmes combien, éloignée du dessein d’Alexandre, elle soupirait après le retour dans la patrie. Alexandre, offensé de la liberté de Cœnus et du silence des autres chefs, rompit l’assemblée.

L’ayant réunie le lendemain, furieux : « Je ne contrains personne à me suivre ; votre roi marchera en avant ; il trouvera des soldats fidèles. Que ceux qui l’ont désiré se retirent, ils le peuvent : allez annoncer aux Grecs que vous avez abandonné votre prince. »

Il se renferma alors dans sa tente ; il y resta pendant trois jours, sans parler à aucun de ses Hétaires ; il attend qu’une de ces révolutions qui ne sont pas rares dans l’esprit des soldats, en change les dispositions.

Mais l’armée affligée, sans être ébranlée, continue de garder le silence. Ptolémée rapporte que néanmoins il fit les sacrifices accoutumés pour obtenir un passage favorable. Les auspices sont contraires. Alors rassemblant les plus âgés et les plus intimes des Hétaires : « Puisque tout me rappelle, allez annoncer à l’armée le départ. »

À cette nouvelle, la multitude pousse des cris, expression de sa joie ; les uns fondent en larmes, les autres accourent jusqu’à la tente d’Alexandre, et le bénissent d’être assez généreux pour ne céder qu’à l’amour de ses soldats.

Ayant divisé alors son armée en douze corps, il fait élever à chacun d’eux un autel immense, aussi élevé et plus étendu que les plus grandes tours, en témoignage de sa reconnaissance envers les Dieux, et en monument de ses victoires.

Ce travail achevé, il ordonne des sacrifices selon le rit grec, des jeux gymniques et équestres, et range tout le pays, jusqu’à l’Hyphase sous la domination de Porus. Il retourne, traverse de nouveau l’Hydraotès, et l’Acésinès. C’est sur les bords de ce fleuve qu’Héphæstion vient d’achever, d’après ses ordres, la ville qu’il devait élever. Alexandre peuple cette nouvelle cité des Barbares finitimes auxquels il ouvre un asile, et des stipendiaires invalides. Il fait ensuite les préparatifs nécessaires pour descendre dans la grande mer.

Sur ces entrefaites, Arsace, satrape des états voisins d’Abyssare, accompagné du frère de ce prince et de ses principaux officiers lui apportent, en son nom, les plus rares présens, amènent trente éléphans, excusent Abyssare, retenu par une maladie, de n’être pas venu se jeter lui-même aux pieds du conquérant ; ce qui était confirmé par les envoyés d’Alexandre, alors de retour.

Alexandre satisfait confirme le pouvoir d’Abyssare, joint Arsace à son empire, ordonne des tributs, sacrifie de nouveau sur les bords de l’Acésinès, le passe, arrive aux bords de l’Hydaspe, fait relever par ses soldats les ouvrages que les mauvais temps avaient détruits dans Nicée et dans Bucéphalie, et règle l’administration de la contrée.