Aller au contenu

Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/874

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion
873
ARRIEN, LIV. VI.

voulant en prévenir les suites, se fait transporter aussitôt sur les bords de l’Hydraotès pour s’y embarquer, et descendre au camp assis aux bords du confluent de ce fleuve et de l’Acésinès. Héphæstion y commande l’armée, et Néarque la flotte. Au moment où le vaisseau qui le portait fut à la hauteur du camp, il fit découvrir la poupe de son navire, et se montra à tout le monde : on doute encore s’il respire ; mais il approche, il leur tend la main ; un cri de joie unanime s’élève ; tous les bras sont tendus vers le ciel ou vers Alexandre ; des larmes d’ivresse coulent de tous les yeux. Au sortir du navire, les Hypaspistes lui apportèrent sa litière ; mais il se fit amener un cheval ; il le monte ; des applaudissemens universels font retentir les forêts et le rivage. À l’approche de sa tente, il met pied à terre, se mêle à ses soldats ; ils l’entourent avec transport ; heureux de lui baiser les mains, les genoux, les vêtemens, même de le voir, ils s’exhalent en vœux, en bénédictions ; les uns lui présentent des couronnes et sèment sur ses pas les fleurs dont cette région est prodigue.

Néarque rapporte que les amis qui l’accompagnaient ne purent s’empêcher de lui faire de justes reproches ; que, dans ce péril extrême qu’il avait volontairement recherché, il avait fait office plutôt de soldat que de général ; plainte à laquelle Alexandre fut d’autant plus sensible, qu’elle était méritée. Mais la valeur excessive d’Alexandre, et sa passion immodérée pour la gloire, le précipitaient dans tous les dangers. Alors un vieux soldat béotien, dont Néarque ne rapporte point le nom, surprenant sur sa physionomie la contrariété que ce reproche excitait dans son âme, lui dit dans son dialecte grossier : « Voilà le partage des héros, ils doivent faire et souffrir de grandes choses. » Alexandre accueillit l’exclamation, et l’auteur lui en devint plus cher.

Le reste des Malliens envoie au prince des députés accompagnés des principaux qui tenaient les villes des Oxydraques, au nombre de cent cinquante, chargés de pleins pouvoirs pour lui remettre le pays, et apportant les plus rares tributs de l’Inde. Ils viennent se rendre à Alexandre et s’excusent de ne point l’avoir fait plus tôt ; qu’ils avaient désiré conserver cette précieuse liberté dont ils avaient constamment joui depuis les conquêtes de Bacchus jusqu’à celles d’Alexandre ; qu’il se soumettaient à la volonté d’un prince qui descendait des Dieux ; qu’ils recevraient un satrape de son choix, paieraient le tribut, livreraient les otages qu’il exigerait.

Alexandre exige mille des principaux de leur nation, qu’il gardera comme otages ou qu’il emploiera dans ses troupes jusqu’à la fin de la conquête de l’Inde. Les Malliens les livrent  ; ils ont choisi les meilleurs et les plus forts ; ils fournissent en outre cinq cents chariots et leurs conducteurs, qu’Alexandre n’avait point demandés. Il accepte les chariots, leur rend les otages et constitue Philippe satrape des Malliens.

Chap. 5. Alexandre monte sur les vaisseaux qu’il avait fait construire pendant sa convalescence ; il joint à ses troupes légères, déjà embarquées, mille sept cents Hétaires et dix mille hommes d’infanterie. Il descend le confluent où l’Hydraotès quitte son nom en se réunissant à l’Acésinès. Alexandre, prolongeant sa navigation sur ce dernier, arrive à l’endroit où il se jette dans l’Indus grossi alors des eaux de quatre grands fleuves qui perdent successivement leurs noms, savoir : l’Hydaspe,