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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/880

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ARRIEN, LIV. VI.

sables brûlans où ils enfonçaient comme dans un limon ou dans un amas de neige, ils y demeuraient ensevelis : on eut beaucoup à souffrir de l’inégalité du chemin ; les bêtes de trait ne pouvaient ni monter ni descendre : égarée dans des marches forcées par la disette d’eau, l’armée était excédée. Le chemin paraissait moins pénible la nuit, surtout avant le lever du soleil, lorsqu’une douce rosée rafraîchissait les airs ; mais au milieu du jour, s’il fallait aller plus loin, la chaleur et la soif devenaient intolérables.

Les soldats tuaient les bêtes de somme ; les subsistances venant à manquer, ils se nourrissaient de la chair des chevaux et des mulets, qu’ils assuraient alors être morts de fatigues. Personne n’osait vérifier les faits ; Alexandre en était instruit : mais tout le monde était coupable, mais la nécessité excusait ce qu’il fallait, sinon permettre, du moins dissimuler.

On abandonnait sur la route les malades et ceux qui ne pouvaient suivre, on sentait alors le manque de bêtes de somme et de chariots pour les transporter. Ceux-ci avaient été brisés dès les premières marches où la difficulté de les conduire allongeait le chemin. Affaiblis par les maladies, les fatigues, la chaleur et la soif, une foule de malheureux sans secours bordaient les chemins ; l’armée continuait précipitamment sa marche, le salut de tous faisant négliger celui de quelques-uns.

Ceux qui s’endormaient à la suite des fatigues de la nuit, se trouvaient seuls à leur réveil ; ils voulaient suivre les traces de l’armée, ils s’égaraient ; presque tous périrent dans ces mers de sable.

Un nouvel accident fut fatal à l’armée, et surtout au reste des animaux de trait : lorsque les vents étésiens soufflent, il pleut dans ces déserts comme dans l’Inde, mais la pluie ne tombe point dans les plaines, elle est reçue par les montagnes où les nuées s’amassent et crèvent. L’armée était campée près d’un ruisseau : vers la seconde veille de la nuit, il se déborde, grossi par la chute des pluies tombées au loin ; cette inondation imprévue entraîne l’équipage d’Alexandre, les femmes, les enfans, l’attirail de l’armée ; les soldats ont peine à se sauver avec leurs armes, quelques-uns même y périrent, surtout pour s’être désaltérés trop largement avec imprudence. Cela fut cause de la précaution que prit dorénavant Alexandre de ne camper qu’à vingt stades des ruisseaux, pour contenir l’intempérance du soldat qui buvait alors avec excès, et dont les premiers en se précipitant dans l’eau la troublaient et la rendaient moins potable.

C’est ici le lieu de rapporter une action mémorable d’Alexandre, soit qu’elle ait eu lieu alors ou antérieurement chez les Paropamisades ; les historiens ne s’accordent point à cet égard. L’armée s’avançait par des sables brûlans et tirait vers un lieu où elle devait trouver de l’eau. Alexandre, dévoré d’une soif ardente, se soutenant à peine, marchait cependant pied à la tête de son infanterie, pour rendre moins insupportables aux soldats les fatigues qu’il partageait. Quelques-uns de ceux légèrement armés s’étant écartés pour aller à la découverte, trouvent un peu d’eau bourbeuse, la recueillent dans un casque, c’est la chose la plus précieuse, ils la portent au prince, la lui présentent ; et lui, après avoir donné des éloges à leur zèle, la répand à la vue de toute l’armée. Cette action ranime et semble rafraîchir le courage des soldats. En quoi Alexandre fit office non seulement d’homme modéré, mais encore de grand capitaine.

Un nouveau malheur vient accabler