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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/98

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THUCYDIDE, LIV. I.

parence des républiques qu’il faut considérer, que leur force ; et l’on doit croire que l’expédition des Hellènes contre Troie fut plus considérable que celles qui avaient précédé, et plus faible que celles qui ont lieu maintenant. Elle paraîtra le céder à celles de nos jours, même en accordant quelque confiance au poème d’Homère, qui cependant, en sa qualité de poète, n’a pas manqué d’exagérer et d’embellir les récits militaires. Il suppose la flotte de douze cents vaisseaux, et fait monter de cent vingt hommes ceux des Béotiens, et de cinquante ceux de Philoctète : et, comme dans son énumération il ne parle point de la force des autres vaisseaux, je crois qu’il indique les plus grands et les plus petits. Ce qu’il dit en parlant des vaisseaux de Philoctète, prouve que tous ceux qui les montaient étaient à-la-fois rameurs et guerriers ; car il fait des archers de tous ceux qui maniaient la rame. Or, il n’est pas vraisemblable que sur les bâtimens (commandés, soit par Philoctète, soit par les princes grecs) il y eût beaucoup d’hommes étrangers à la manœuvre. Sans doute on n’en dispensait que les rois et les personnages constitués en dignités, surtout lorsqu’il s’agissait d’un trajet à faire avec les équipages de guerre, et sur des vaisseaux non pontés, conformes à l’ancienne construction, et ressemblant à ceux de nos pirates. En prenant donc un milieu entre les plus forts bâtimens et les plus faibles, il est évident que le nombre des guerriers qui se rassemblèrent pour l’expédition était petit, eu égard à une entreprise que la Grèce entière partageait.

Chap. 11. C’est ce qu’on doit moins attribuer à la faiblesse de la population, qu’au défaut de richesses. Manquant de subsistances, on conduisit une armée moins considérable, telle que la guerre elle-même pourrait la nourrir en pays ennemi. Et dès qu’arrivé dans les campagnes de Troie, on eut gagné une bataille (fait incontestable, puisque autrement on n’aurait pu fortifier le camp), on ne déploya certainement pas toutes ses forces : par disette de vivres, on se mit à cultiver la Chersonèse et à exercer la piraterie. À la faveur de cette dispersion, pendant les dix années, les Troyens résistèrent, égaux en forces, à celles qu’opposaient successivement les ennemis. S’ils fussent venus avec d’abondantes munitions ; si, tous réunis, ils eussent constamment et sans interruption continué la guerre, sans se distraire par le brigandage et l’agriculture, supérieurs dans les combats, ils eussent pris aisément la place, puisque même, sans être réunis, ils luttèrent avec la portion de troupes appelée à combattre. Continuellement occupés du siége, ils eussent pris Troie en moins de temps et avec moins de peine. Faute de richesses, les entreprises antérieures furent donc faibles, et celle de Troie même, quoique plus célèbre que les précédentes, fut évidemment, à en juger par les effets, inférieure aux récits accrédités aujourd’hui sur la foi des poètes.

Chap. 12. Et même encore après la guerre de Troie, l’Hellade, toujours sujette aux déplacemens et aux émigrations, ne put, sans cesse agitée, recevoir d’accroissement. Le retour tardif des Hellènes occasionna bien des révolutions : dans la plupart des républiques il s’éleva des séditions, dont ceux qui étaient victimes allaient fonder de nouveaux états. La soixantième année après la prise d’Ilion, les Béotiens d’aujourd’hui, chassés d’Arné par les Thessaliens, s’établirent dans la contrée appelée Béotie, et auparavant Cadméide. Il s’y trouvait dès long-temps une portion de ce peuple, qui de là était allé à Ilion. Ce fut la quatre-vingtième année après la prise de cette ville,

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