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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/1022

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POLYBE, LIV. XXXVI.

de tous les articles du traité, mais le silence gardé sur les villes dont il n’était pas fait mention dans le dénombrement de ce que Rome voulait bien accorder inquiéta extrêmement les Carthaginois.

Durant cette émotion, Magon, surnommé Brétius, rassura les esprits : « De deux temps qui vous ont été donnés, dit-il aux sénateurs, pour délibérer sur vos intérêts et sur ceux de la patrie, le premier est passé. Ce n’est pas aujourd’hui que vous devez vous inquiéter de ce que les consuls vous ordonneront, ni pourquoi le sénat romain n’a fait nulle mention des villes ; c’était lorsque vous vous êtes livrés aux Romains. Mais après cette démarche toute délibération est superflue. Il ne nous reste plus qu’à obéir, quelque ordre qu’il vous vienne de leur part, à moins qu’ils ne portent leurs prétentions à des excès intolérables. S’ils en viennent là, il sera temps alors de décider s’il vaut mieux souffrir tous les maux de la guerre que de nous soumettre. » Dans l’incertitude où l’on était de ce que l’on devait craindre, l’ennemi, déjà en chemin, fixa les irrésolutions. Le sénat ordonna qu’on enverrait les trois cents ôtages à Lilybée. On les choisit aussitôt parmi la jeunesse carthaginoise, et on les conduisit au port. On ne peut exprimer avec quelle douleur leurs parens et leurs amis les y suivirent. On n’entendait que gémissemens et que lamentations, les larmes coulaient de tous les yeux, et les mères éplorées augmentaient infiniment ce deuil universel par toutes les marques qu’elles donnaient de la tristesse la plus accablante.

Quand ces ôtages furent débarqués à Lilybée, on les mit entre les mains de Q. Fabius Maximus, qui alors était préteur en Sicile, et il les fit passer à Rome, où ils furent tous enfermés dans un même lieu. Durant tous ces mouvement, les armées consulaires abordèrent à Utique. Cette nouvelle, portée à Carthage, y jeta l’épouvante. On craignait tous les maux, parce qu’on ne savait auxquels on devait s’attendre. Des députés se rendirent au camp des Romains pour recevoir les ordres des consuls, et pour déclarer qu’on était prêt à obéir en tout. Il se tint un conseil où le consul, après avoir loué leur bonne disposition et leur obéissance, leur ordonna de lui livrer sans fraude et sans délai généralement toutes leurs armes. Les députés y consentirent ; mais ils le prièrent de faire réflexion à quel état ils seraient réduits, s’ils se dessaisissaient de leurs armes, et que les Romains les emportassent avec eux. Il fallut les livrer.

Il est certain que cette ville était fort riche, car ils livrèrent aux Romains plus de deux cent mille de ces armes et deux mille catapultes. (Ambassades.) Dom Thuillier et Schweighæuser.


Fureur des Carthaginois en apprenant la réponse des Romains.


Ils ne pouvaient se former aucune idée du sort qui les menaçait ; mais à la contenance de leurs députés, ils augurèrent tous les maux et commencèrent à éclater en plaintes et en lamentations.

Après ces clameurs jetées par tous, il se fit tout-à-coup le plus profond silence, comme dans l’attente d’un grand événement qui étonne. Mais la nouvelle s’étant bientôt répandue, la stupeur cessa d’être silencieuse ; les uns se jetaient sur les députés avec fureur, comme s’ils eussent été la cause de leurs maux ; les autres, saisissant les Italiens