Aller au contenu

Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/1031

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
1023
POLYBE, LIV. XXXVIII.

aux Lacédémoniens dans les conférences tenues à Tégée ; mais dans le fond pour invectiver contre les Romains, et pour donner un tour odieux à tout ce qu’ils disaient, afin d’inspirer contre eux la haine et l’aversion dont il était animé lui-même, et il n’y réussit que trop. Il défendit de plus aux juges de poursuivre aucun Achéen et de l’emprisonner pour dettes jusqu’à la conclusion de l’affaire commencée entre la diète et Lacédémone. Par là, il persuada tout ce qu’il voulut, et disposa la multitude à recevoir avec soumission tous les ordres qu’il jugerait à propos de lui donner. Incapable de faire des réflexions sur l’avenir, elle se laissa prendre aux amorces du premier avantage qu’il lui proposa.

Métellus ayant appris en Macédoine les troubles dont le Péloponnèse était agité, il y députa C. Papirius, le jeune Scipion l’Africain, Aulus Gabinius et C. Fannius, qui, arrivés par hasard à Corinthe dans le temps que le conseil y était assemblé, parlèrent au moins avec autant de modération que Julius avait parlé. Ils n’épargnèrent rien pour empêcher que les Achéens ne s’exposassent à perdre entièrement l’amitié des Romains, soit par leurs querelles avec les Lacédémoniens, soit par leur aversion pour Rome. Malgré cela, la populace ne put se contenir. On se moqua des députés ; on les chassa ignominieusement de l’assemblée ; il s’assembla un nombre innombrable d’ouvriers et d’artisans autour d’eux pour les insulter. Toutes les villes d’Achaïe étaient alors comme en délire, mais Corinthe l’emportait de ce côté-là sur toute autre. Très-peu de gens y goûtèrent le discours des ambassadeurs. Une espèce de fureur transportait cette assemblée tumultueuse au-delà de toutes bornes.

Le préteur voyant avec complaisance que tout réussissait à son gré, harangua la multitude. Les magistrats furent le principal objet de ses invectives. Il railla amèrement les amis que Rome avait parmi les Achéens. Les ambassadeurs ne furent pas plus ménagés. Il dit qu’il ne serait pas fâché d’avoir les Romains pour amis, mais qu’il ne les souffrirait pas pour maîtres ; que pour peu que les Achéens eussent du courage, ils ne manqueraient pas d’alliés, et que les maîtres ne leur manqueraient pas, s’ils n’avaient pas assez de cœur pour défendre leur liberté. Par ces raisons et d’autres semblables, l’artificieux préteur soulevait le peuple. Il ajouta que ce n’était pas sans avoir pris de bonnes mesures qu’il avait entrepris de faire tête aux Romains ; qu’il avait des rois dans son parti, et que des républiques étaient prêtes aussi à le prendre. Ces derniers mots effrayèrent de sages vieillards qui se trouvaient à l’assemblée. Ils environnèrent le préteur, et voulurent lui imposer silence. Critolaüs appela sa garde, et menaça ces sénateurs respectables des plus mauvais traitemens s’ils osaient approcher et toucher seulement sa robe. Ensuite il dit qu’après s’être long-temps retenu il ne pouvait plus s’empêcher de déclarer qu’il ne fallait pas tant craindre ni les Lacédémoniens ni les Romains que ceux qui parmi les Achéens mêmes agissaient en faveur des uns et des autres ; qu’on connaissait des gens qui les favorisaient plus que leur propre patrie ; qu’Évagoras d’Égie et Stratogius de Trittée rapportaient aux ambassadeurs romains tout ce qui se passait dans les conseils de la nation. Stratogius donna le démenti au préteur : « Il est vrai, dit-il, que j’ai vu ces ambassadeurs, et je suis résolu de les voir encore, parce qu’ils sont nos amis et nos alliés. Du reste, j’at-