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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/146

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Le consul Pison prit le commandement de l’Afrique, et conduisit d’abord la guerre avec beaucoup d’ardeur et de succès. Bientôt Jugurtha vint à bout de le séduire, et les négociations commencèrent. Le traité inspirant des soupçons, le préteur Cassius Longinus partit avec l’ordre d’amener à Rome le prince rebelle. Jugurtha y vint en effet, muni d’un sauf-conduit du sénat.

Il parut avec toute la modestie d’un accusé. Mais sachant qu’on manifestait l’intention de mettre sur le trône de Numidie un des descendans de Massinissa qui s’était aussi réfugié à Rome, le roi n’hésita pas à soudoyer des assassins, et le fit massacrer. Le sénat ressentit vivement l’offense ; il n’osa cependant violer un sauf-conduit, et fit sortir le meurtrier de l’Italie. C’est en parlant que Jugurtha dit ces paroles mémorables : « Rome est à vendre ; elle n’attend que des acheteurs. »

Le consul Albinus le suivit de près, et reconnut bientôt que les desseins de ce prince étaient impénétrables. Lorsqu’il avait résolu d’éviter une bataille, il s’avançait pour engager l’action ; ou bien il paraissait fuir, quand il préparait une attaque. Ses offres de soumission et ses menaces étaient également fausses. Il violait les traités les plus solennels, regardant un manque de foi comme un stratagème permis à la guerre, et se moquait de ceux qui se laissaient ainsi tromper.

Ces artifices devaient prolonger la lutte. Le temps des élections approchait, et Albinus revint à Rome pour présider au choix d’un successeur. Il y avait beaucoup de fermentation dans la ville. La corruption que l’on reprochait à plusieurs nobles, à cause de leur correspondance vraie ou fausse avec Jugurtha, donnait de l’avantage au parti populaire. L’élection des consuls fut suspendue ; la république se trouva, une année entière, dans une anarchie absolue.

Aulus Albinus, frère du dernier consul, qui commandait par intérim l’armée d’Afrique, espéra faire servir ce trouble à sa gloire. Il poussa fort avant dans la Numidie, comptant se rendre maître, par force ou par surprise, des magasins et des trésors du monarque africain.

Toujours fidèle à son plan de conduite, le prince paraît effrayé ; c’est avec précipitation qu’il se retire partout où les Romains se montrent ; et afin d’augmenter leur confiance, il implore même souvent la pitié. Cependant il s’occupait de gagner les Thraces et les autres étrangers qui servaient avec les légions romaines, et lorsqu’il eut attiré Aulus dans une position dangereuse, il revint la nuit sur ses pas.

Les Thraces et les Ligures qui gardaient les avenues du camp, favorisèrent Jugurtha qui surprit les légions. Elles se réfugièrent en désordre sur une hauteur voisine ; leur fuite fut si précipitée, que la plupart des soldats ne purent emporter leurs armes. Les Numides passèrent la nuit à piller le camp. Au point du jour, Jugurtha demanda une conférence au préteur. Il lui dit que les Romains, manquant de provisions, n’ayant pas même les moyens de se défendre, étaient au pouvoir des Numides. Il ajouta qu’il n’abuserait pas de ses avantages, et leur tiendrait la vie sauve, si l’armée voulait évacuer son royaume en dix jours.

Le général romain accepta la capitulation ; mais elle fut déclarée infâme à Rome, et le sénat refusa de la ratifier. Albinus, afin de rétablir l’honneur de sa famille, s’empressa de lever des troupes avec lesquelles il se proposait