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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/180

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qui ne pouvait poursuivre son succès sans prêter le flanc à Tigranes, et le laisser derrière lui. Lucullus se montre trop habile pour que l’on pût craindre qu’il se compromît aussi maladroitement ; il se retirait alors, content d’un premier avantage.

Mais autant la conduite du roi semble misérable, autant celle du consul caractérise le grand général. Il vit les fautes de son ennemi, et sut profiter de toutes. Aussi Plutarque nous dit-il que les meilleurs capitaines de Rome donnèrent de grands éloges à Lucullus pour avoir défait les deux plus puissans princes du monde par deux moyens opposés : Mithridate, en se retirant toutes les fois que ce prince voulait combattre ; Tigranes, au contraire, à force d’activité et de hardiesse, si l’on peut ainsi parler. Rome avait encore des hommes capables de décider une pareille question, et la suite prouva que Lucullus possédait en effet le grand art de connaître les hommes et les circonstances.

Mithridate pénétra mal Lucullus, et, comptant sur l’indolence qu’il lui supposait, ne se hâta point de se réunir au roi d’Arménie. Mais le consul ne craignait que cette jonction, et ne perdit pas un instant pour attaquer Tigranes.

Le roi de Pont arrivait à petites journées, lorsqu’il trouva sur sa route quelques soldats arméniens dispersés et frappés de terreur. Il devina bien vite la défaite de son gendre.

Oubliant ses ressentimens, il s’empressa d’aller au devant de Tigranes, qui reconnut trop tard combien les conseils du roi de Pont étaient sages. Les deux princes s’occupèrent ensemble de rétablir leurs affaires, et de lever de nouveaux soldats.

Mancœus, qui commandait dans Tigranocerte, n’osa résister plus longtemps. La ville fut livrée au pillage. Les Romains y trouvèrent, parmi les richesses, huit mille talens d’argent monnayé. Lucullus se réserva les trésors du roi, et distribua à chacun de ses soldats huit cents drachmes ; ce qui, joint au butin qu’ils avaient fait pendant la bataille, devait les avoir enrichis. Il ne faut donc plus s’étonner s’ils se mutinèrent et refusèrent de marcher lorsque Lucullus voulut, peu de temps après, les conduire contre les Parthes.

Les succès du général romain furent justifiés par sa générosité envers les vaincus, et lui attirèrent des ambassadeurs de presque tous les peuples de l’Orient, qui venaient lui demander son alliance. Une grande partie de l’Arménie se soumit volontairement.

En recevant ces hommages Lucullus laissa échapper Tigranes. On lui reproche avec raison de n’avoir pas profité de la victoire. Peut-être voulait-il faire un pont d’or à l’ennemi vaincu ; ou plutôt désirait-il traîner la guerre en longueur, pour conserver le commandement des troupes. Cette dernière supposition prévalut à Rome, et la conduite de Lucullus fut blâmée.

Quoi qu’il en soit, Mithridate et Tigranes mirent ce repos à profit. Ils parcoururent l’Asie, et parvinrent à rassembler une nouvelle armée forte de soixante-dix mille hommes d’infanterie, et de trente-cinq mille cavaliers. Le roi de Pont devait la commander en personne. On voit encore, par des fragmens du quatrième livre de Salluste, une lettre adressée au roi des Parthes, Arsace, dans laquelle Mithridate, pour le rassurer contre la valeur des Romains et la haute capacité de leur général, rejette la défaite de son gendre sur son imprudence et la mauvaise position qu’il avait prise.

Lucullus marcha contre Tigranes vers