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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/324

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Une lâche trahison flétrit cet espoir et perdit Rome sans retour. Les Goths, dans une de leurs incursions, passèrent le Tyras et le Danube, et descendirent dans la Mœsie et dans la Thrace. Decius lui-même défendait la province, il arrêta leur course. Il les tenait enfermés près de Nicrocopolis, cette ville que Trajan avait bâtie sur les bords du Danube comme un monument de ses victoires : Decius voulait inspirer aux Goths une forte terreur par une grande défaite.

Un de ses officiers eut la lâcheté de vendre aux Barbares son général et son pays. Decius, induit en erreur par son rapport, éprouva du désavantage ; son fils aîné fut tué à ses côtés. « Compagnons, dit Decius à ses troupes effrayées, ce n’est qu’un combattant de moins ; la perte d’un seul ne doit entraîner ni la perte de la bataille, ni celle de l’état. » Malgré ce calme, malgré sa valeur et ses efforts, il succomba.

Decius est le seul empereur qui soit mort avec gloire et pour la patrie : Gordien II, en tombant les armes à la main, n’avait défendu que sa vie et ses droits.

À cette époque, l’empire était attaqué à la fois, depuis les bords du Tigre jusqu’à l’embouchure du Rhin, par des ennemis actifs, aguerris ; mais ils n’étaient pas ligués ensemble, et ne pouvaient être dangereux que par leur nombre. Les Perses, toutefois, donnaient toujours plus d’inquiétude aux Romains que les Goths, les Bourguignons, les Alains, les Allemands, les Francs et tous les Barbares de la Germanie, du Nord, ou des rives de l’Euxin.

Le défaut d’ordre, la brièveté, l’ignorance et l’inexactitude des auteurs de ce siècle, couvrent d’obscurité la plupart des révolutions qui eurent lieu sous les règnes de Valérien et de Gallien. Les lettres n’étaient plus honorées, leur culture ne procurait ni avancement ni considération ; et, les écrivains négligeant l’histoire, se contentaient de noter les faits sans daigner en rechercher les causes, bien que le développement de ces grandes révolutions eût été susceptible d’un intérêt puissant.

On voit que les auteurs et les lecteurs étaient également rebutés, et que, désespérant de la patrie et d’eux-mêmes, ils ne cherchaient plus dans le passé des instructions pour le présent, ni des exemples pour garantir l’état des malheurs avenir. Il semble que Rome, le sénat et les hommes les plus sages, se fussent abandonnés à la destinée et ne fissent aucun travail qui pût être utile à diriger le cours des évènemens.

Les narrateurs de ce temps-là (car je ne puis me déterminer à leur donner le nom d’historien), ces écrivains se complaisent à nous dire qu’il y eut alors trente tyrans, ou plutôt trente usurpateurs qui se disputèrent l’empire : cependant, si l’on suppute tous les contendans, si l’on regarde le père et le fils révoltés ensemble, comme deux chefs départi, on ne peut en trouver que dix-neuf ou vingt.

Ces narrateurs avaient lu dans l’histoire de là Grèce, qu’Athènes, prise par Lysander, fut livrée à trente aristocrates qu’on appela les trente tyrans, et, pour faire une comparaison, aussi misérable que fausse, entre les troubles de leur siècle et les révolutions d’Athènes, ils ont toujours désigné sous ce nom ces vingt compétiteurs. On peut juger par ce trait, de la décadence où était tombé l’art d’écrire. L’éloquence du barreau se soutenait un peu ; la jurisprudence est d’autant plus nécessaire, qu’il y a plus de vices, de disputes et de malheurs.