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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/326

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établissait ; il les engagea même à défricher leur propre pays.

Rien n’était plus humain qu’un pareil plan, si l’on eût pu le rendre praticable. Probus aspirait à former une génération de soldats laboureurs ; il ne fit qu’une race de séditieux.

Nul empereur, on doit l’avouer, et jamais peut-être aucun prince, n’exécuta par les mains de ses soldats tant de grands ouvrages que Probus : il couvrit tout l’empire de monumens aussi utiles que magnifiques. L’Égypte, l’Afrique, la Mœsie, la Pannonie, reçurent une nouvelle splendeur et comme une autre vie sous son administration. La France lui doit ces plants de vigne célèbres qui attirent chez elle l’or des nations étrangères.

Tant de choses exécutées en six années seulement, malgré plusieurs guerres dans lesquelles Probus déploya les talens les plus rares ; tous ces travaux qui pouvaient exercer l’activité d’une longue suite de princes, rebutèrent enfin les légions. La fatigue est pire que le danger pour la plupart des hommes.

Depuis les beaux règnes de Nerva, Trajan, Hadrien et des deux Antonins, qui tous cinq étaient morts naturellement, trente empereurs avoués du sénat gouvernèrent l’empire, et, de ce nombre, vingt-cinq périrent assassinés ou se virent réduits à se tuer eux-mêmes ; le vingt-sixième mourut captif, le vingt-septième fut foudroyé ; Sévère, Claudius et Tacite se présentent comme les seuls qui terminèrent tranquillement leur vie ; les talens d’Aurélien, les vertus de Probus ne purent les garantir du fer des meurtriers.

L’empire romain n’était plus celui de Rome ; les Augustes en disposaient sans consulter le sénat. Le génie sage et vaste de Dioclétien s’était aperçu que cet empire trop étendu ne pouvait être gouverné par un seul homme ; Dioclétien comprit aussi que l’empereur, n’ayant pour régner d’autres droits que l’aveu et le choix de ses compagnons d’armes, ne pouvait être long-temps traité par eux en supérieur.

Il pensa devoir mettre des intermédiaires, et introduisit une étiquette inconnue. Sa conduite, son abdication, son goût pour la simplicité et la retraite, prouvent que ce n’est point à l’orgueil, mais à la profondeur de son jugement, à la grande connaissance qu’il avait des hommes, qu’on doit attribuer le faste dont il s’environna.

C’est un fait mémorable et sans exemple dans les annales de l’histoire, que cinq paysans, Aurélien, Probus, Dioclétien, Maximin et Galère, aient pu s’élever de grade en grade, jusqu’au rang des empereurs, et se soient succédé ; que ces hommes de si basse origine aient rétabli la discipline dans les armées, la paix dans les provinces, et rendu à l’empire sa splendeur. Aucune puissance du monde ne pouvait encore comparer ses forces ni mesurer ses armes avec celles de Rome, malgré la décadence qui se faisait déjà sentir.

Dioclétien avait gouverné l’empire plus de vingt ans, ce qui n’était arrivé à aucun des empereurs depuis Antonin. Tibère et Auguste tinrent plus long-temps les rênes de l’empire ; mais nul n’obtint de plus grands succès, nul ne laissa l’état plus florissant, plus glorieux, plus affermi, plus étendu. Dioclétien descendit du trône en sage, pénétré de la vanité des grandeurs, et quittant la puissance volontairement pour jouir de sa raison et passer sa vieillesse exempt d’inquiétude. Il semble que l’ascendant de son