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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/342

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Il s’élevait de temps à autre des généraux qui faisaient quelque étude de la tactique. On trouve dans l’Histoire de l’empereur Maurice, sur la fin du sixième siècle, des manœuvres assez fines pour n’avoir pu s’exécuter sans une grande précision.

Prisque, général de l’armée, était campé sur les bords du Danube, près de l’embouchure de la Save, en face des Abares postés de l’autre côté ; il passe le fleuve, renvoie ses barques, et quelques jours après se range en bataille à la tête de son camp.

Comme l’usage des Abares était de combattre par pelotons, en voltigeant à droite et à gauche, Prisque divisa son armée en trois corps de figure carrée, qui avaient autant de profondeur que de front. Il ne permit l’usage des flèches qu’à des troupes détachées, qui devaient se mettre à l’abri derrière ses carrés, et il s’engagea hardiement au milieu des Barbares.

Son dessein n’était, ce jour-là, que de les tâter pour bien connaître leur manœuvre. Deux jours après, il se présenta dans le même ordre, et les ennemis vinrent encore escarmoucher autour de ses troupes, pensant que la crainte seule les obligeait de garder cette disposition qu’ils méprisaient. Mais tout à coup, les Romains se déploient, enveloppent les Abares, et les défont entièrement.

Le général Jomini, déplorant avec raison cette chicane puérile qui lui fut suscitée à propos du mot stratégie, se plaisait à nous indiquer les écrits de l’empereur Maurice, comme s’ils devaient présenter une définition très-nette de la stratégie et de la tactique. Nous avons lu ces écrits, et rien de semblable ne s’est offert à nous, bien que l’écrivain couronné se serve habituellement du mot stratège, et que son ouvrage porte même le nom de Stratégie.

Si ces institutions, où l’on chercherait peut-être inutilement une leçon utile, avaient pu aider un peu la pensée qui dirigea ces admirables classifications introduites dans la science par le général Jomini, il faudrait se hâter de secouer la poussière qui depuis près de quatorze siècles couvre les livres de Maurice. Ne vaut-il pas mieux admettre qu’ayant à créer pour ainsi dire une science nouvelle, on ne put le faire sans introduire des mots nouveaux. Aujourd’hui, il n’est pas un homme occupé de l’étude du grand art de la guerre, qui n’accepte avec reconnaissance les théories savantes du général Jomini.

Revenons au Bas-Empire.

Héraclius, qui fut empereur et guerrier, ne manquait pas non plus d’habileté dans ses opérations militaires. Il remporta quelques succès glorieux sur les Perses ; mais il ne put tenir contre la fortune et l’ascendant des Sarrasins, qui commencèrent sous son règne d’entamer l’empire.

Pressé d’un côté par les Abares qui gagnaient toujours du terrain ; de l’autre, par les Bulgares ou les Sclaves, il n’y eut plus alors d’espérance de sauver l’état de sa destruction. Quelques victoires remportées çà et là ne faisaient que retarder une catastrophe imminente. Constantinople, agitée par de vaines disputes théologiques, ne pensait guère à remettre en vigueur un art dont la pratique suppose de la solidité dans les conseils, et de la force dans les esprits.

Léon le philosophe monta sur le trône au milieu de ces désordres. Les livres de tactique qu’il publia vers la fin de son règne servirent plus à montrer la justesse de ses vues qu’à porter des