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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/376

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POLYBE, LIV. I.


CHAPITRE VIII.


Victoire navale des Romains, et tempête dont elle fut suivie. — Où les précipite leur génie entreprenant. — Prise de Palerme.


Au commencement de l’été, les Romains mirent en mer trois cent cinquante vaisseaux, sous le commandement de deux consuls, Émilius et Servius Fulvius. Cette flotte côtoya la Sicile pour aller en Afrique. Au promontoire d’Hermée, elle rencontra celle des Carthaginois, et du premier choc elle la mit en fuite et gagna cent quatorze vaisseaux, avec leur équipage ; puis reprenant à Aspis la troupe de jeunes soldats qui y étaient restés, elle revint en Sicile. Elle avait déjà fait une grande partie de la route, et touchait presque aux Camariniens, lorsqu’elle fut assaillie d’une tempête si affreuse, qu’il n’y a point d’expressions pour la décrire. De quatre cent soixante-quatre vaisseaux, il ne s’en sauva que quatre-vingts ; les autres furent, ou submergés, ou emportés par les flots, ou brisés contre les rochers et les caps. Toute la côte n’était couverte que de cadavres et de vaisseaux fracassés. On ne voit dans l’histoire aucun exemple d’un naufrage plus déplorable. Ce ne fut pas tant la fortune que les chefs qui en furent cause. Les pilotes avaient souvent assuré qu’il ne fallait pas voguer le long de cette côte extérieure de la Sicile, qui regarde la mer d’Afrique, parce qu’elle est oblique, et que d’ailleurs on n’y peut aborder que très-difficilement ; de plus, que des deux constellations contraires à la navigation, Orion et le Chien, l’une n’était pas encore passée, et l’autre commençait à paraître. Mais les chefs ne voulurent rien écouter, dans l’espérance qu’ils avaient que les villes qui sont situées le long de la côte, épouvantées par la terreur de leur dernier succès, les recevraient sans résistance. Leur imprudence leur coûta cher ; ils ne la reconnurent que lorsqu’il n’était plus temps.

Tel est en général le génie des Romains : ils n’agissent jamais qu’à force ouverte ; ils s’imaginent que tout ce qu’ils se proposent doit être conduit à sa fin, comme par une espèce de nécessité, et que rien de ce qui leur plaît n’est impossible. Souvent, à la vérité, cette politique leur réussit ; mais ils ont aussi quelquefois de fâcheux revers à essuyer, principalement sur mer. Ailleurs, comme ils n’ont affaire que contre des hommes et des ouvrages d’hommes, et qu’ils n’usent de leurs forces que contre des forces de même nature, ils le font pour l’ordinaire avec succès, et il est rare que l’exécution ne réponde pas au projet ; mais quand ils veulent, pour ainsi dire, forcer les élémens à leur obéir, ils portent la peine de leur témérité. C’est ce qui leur arriva pour lors, ce qui leur est arrivé plusieurs fois, et ce qui leur arrivera, tant qu’ils ne mettront pas un frein à cet esprit audacieux qui leur persuade que sur terre et sur mer, tout temps doit leur être favorable.

Le naufrage de la flotte des Romains, et la victoire gagnée par terre sur eux quelque temps auparavant, ayant fait croire aux Carthaginois qu’ils étaient en état de faire tête à leurs ennemis sur mer et sur terre, ils se portèrent avec plus d’ardeur à mettre deux armées sur pied. Ils envoient Asdrubal en Sicile, et grossissent son armée des troupes qui étaient venues d’Héraclée, et de cent quarante éléphans. Ensuite ils équipent deux cents vaisseaux, et les fournissent de tout ce qui leur était nécessaire. Asdrubal arrive à Lilybée sans trouver d’obstacle ; il y exerce