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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/382

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POLYBE, LIV. I.

fait en siége, osa se charger de cette commission. Ses offres furent acceptées, quoique l’on doutât qu’il en vînt à son honneur. Il équipe une galère particulière, met à la voile, passe dans une des îles qui sont devant Lilybée, et le lendemain, un vent frais s’étant élevé, il passe au travers des ennemis que son audace étonne, il entre dans le port à la quatrième heure du jour, et se dispose, dès le lendemain, à revenir sur ses pas. Le consul, pour lui opposer une garde plus sûre, tient prêts, pendant la nuit, dix de ses meilleurs vaisseaux ; et du port, lui et toute son armée observent les démarches du Rhodien. Ces dix vaisseaux étaient placés aux deux côtés de l’entrée, aussi près du sable que l’on pouvait en approcher ; les rames levées, ils étaient comme prêts à voler et à fondre sur Annibal. Celui-ci, malgré toutes ces précautions, vient effrontément, insulter à ses ennemis et les déconcerte par sa hardiesse et la légèreté de sa galère. Non-seulement il passe au travers, sans rien en souffrir, lui ni son monde, mais il approche d’eux, il tourne à l’entour, il fait lever les rames et s’arrête, comme pour les attirer au combat : personne n’osant se présenter, il reprend sa route, et brave ainsi avec une seule galère toute la flotte des Romains. Cette manœuvre, qu’il fit souvent dans la suite, fut d’une grande utilité pour les Carthaginois et pour les assiégés ; car par là on fut instruit à Carthage de tout ce qu’il était important de savoir ; à Lilybée, on commença à bien espérer du siége ; et la terreur se répandit parmi les assiégeans. Cette hardiesse du Rhodien venait de ce qu’il avait appris par expérience quelle route il fallait tenir entre les bancs de sable qui sont à l’entrée du port. Pour cela, il gagnait d’abord la haute mer ; puis approchant comme s’il revenait d’Italie, il tournait tellement sa proue du côté de la tour qui est sur le bord de la mer, qu’il ne voyait pas celles qui regardent l’Afrique. C’est aussi le seul moyen qu’il y ait pour prendre avec un bon vent l’entrée du port.

L’exemple du Rhodien fut suivi par d’autres qui savaient les mêmes routes. Les Romains, que cela n’accommodait pas, se mirent en tête de combler cette entrée : mais la chose était au-dessus de leurs forces. La mer avait là trop de profondeur. Rien de ce qu’ils y jetaient ne demeurait où il était nécessaire. Les flots, la rapidité du courant emportaient et dispersaient les matériaux avant même qu’ils arrivassent au fond. Seulement dans un endroit, où il y avait des bancs de sable, ils firent à grand-peine une levée. Une galère à quatre rangs voltigeant pendant la nuit, y fut arrêtée et tomba entre leurs mains. Comme elle était construite d’une façon singulière, ils l’armèrent à plaisir, et s’en servirent pour observer ceux qui entraient dans le port, et surtout le Rhodien. Par hasard il entra pendant une nuit, et peu de temps après, il repartit en plein jour. Voyant que cette galère faisait les mêmes mouvemens que lui, et la reconnaissant, il fut d’abord épouvanté, et fit ses efforts pour gagner les devans. Près d’être atteint, il fut obligé de faire face et d’en venir aux mains ; mais les Romains étaient supérieurs, et en nombre et en forces. Maîtres de cette belle galère, ils l’équipèrent de tout point, et depuis ce temps-là personne ne put plus entrer dans le port de Lilybée.

Les assiégés ne se lassaient point de rétablir ce qu’on leur détruisait. Il ne restait plus que les machines des ennemis, dont ils n’espéraient plus pouvoir se délivrer, lorsqu’un vent violent