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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/388

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POLYBE, LIV. I.

juger à peu près de cette guerre comme d’un combat de forts et de vigoureux athlètes. Quand ils en viennent aux mains pour emporter une couronne, et que sans cesse ils se font plaie sur plaie, ni eux-mêmes, ni les spectateurs ne peuvent raisonner sur chaque coup qui se porte ou qui se reçoit, bien qu’on puisse aisément, sur la vigueur, l’émulation, l’expérience, la force et la bonne constitution des combattans, se former une juste idée du combat. Il faut dire la même chose de Junius et d’Amilcar : c’était tous les jours de part et d’autre des piéges, des surprises, des approches, des attaques ; mais un historien qui voudrait expliquer pourquoi et comment tout cela se faisait, entrerait dans des détails qui seraient fort à charge au lecteur, et ne lui seraient d’aucune utilité : qu’on donne une idée générale de tout ce qui se fit alors, et du succès de cette guerre, en voilà autant qu’il en faut pour juger de l’habileté des généraux. En deux mots, on mit des deux côtés tout en usage, stratagèmes qu’on avait appris par l’histoire, ruses de guerre que l’occasion et les circonstances présentes suggéraient : hardiesse, impétuosité, rien ne fut oublié ; mais il ne se fit rien de décisif, et cela pour bien des raisons. Les forces de part et d’autre étaient égales ; les camps bien fortifiés et inaccessibles ; l’intervalle qui les séparait fort petit : d’où il arriva qu’il se donnait bien tous les jours des combats particuliers, mais jamais un général : toutes les fois qu’on en venait aux mains, on perdait du monde ; mais dès que l’on sentait l’ennemi supérieur, on se jetait dans les retranchemens pour se mettre à couvert, et ensuite on retournait à la charge. Enfin la fortune, qui présidait à cette espèce de lutte, transporta nos athlètes dans une autre arène, et pour les engager dans un combat plus périlleux, les resserra dans un lieu plus étroit.

Malgré la garde que faisaient les Romains sur le sommet et au pied du mont Éryce, Amilcar trouva moyen d’entrer dans la ville qui était entre les deux camps. Il est étonnant de voir avec quelle résolution et quelle constance les Romains, qui étaient au-dessus soutinrent le siége, et à combien de dangers ils furent exposés ; mais on n’a pas moins de peine à concevoir comment les Carthaginois purent se défendre, attaqués comme ils l’étaient par dessus et par dessous, et ne pouvant recevoir de convois que par un seul endroit de la mer dont ils pouvaient disposer. Toutes ces difficultés, jointes à la disette de toutes choses, n’empêchèrent pas qu’on n’employât au siége de part et d’autre tout l’art et toute la vigueur dont on était capable, et qu’on ne fît toute sorte d’attaques et de combats. Enfin ce siége finit non par l’épuisement de deux partis, causé par les peines qu’ils y souffraient, comme l’assure Fabius, car ils soutinrent ces peines avec une constance si grande, qu’il ne paraissait pas qu’ils les sentissent ; mais après deux ans de siége, on mit fin d’une autre manière à cette guerre, et avant qu’un des deux peuples l’emportât sur l’autre. C’est là tout ce qui se passa à Éryce, et ce que firent les armées de terre.

À considérer Rome et Carthage ainsi acharnées l’une contre l’autre, ne croirait-on pas voir deux de ces braves et vaillans oiseaux, qui, affaiblis par un long combat, et ne pouvant plus faire usage de leurs ailes, se soutiennent par leur seul courage, et ne cessent de se battre, jusqu’à ce que, s’étant joints l’un et l’autre, ils se soient meurtris à coups de bec, et que l’un des deux ait