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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/392

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POLYBE, LIV. I.

près et qui mérite toute sorte d’attention ; matière qui, quoique très-curieuse, a pourtant été, si j’ose le dire, inconnue jusqu’à présent, par la faute des historiens ; les uns n’ayant pas su ce qu’il en était, les autres n’en ayant parlé que d’une manière embarrassée et dont on ne peut tirer aucun fruit. Au reste, il est aisé de voir que c’était le même esprit qui dans cette guerre animait les deux républiques. Mêmes desseins de part et d’autre, même grandeur de courage, même passion de dominer. À l’égard des soldats, on ne peut disconvenir que les Romains n’eussent tout l’avantage sur les Carthaginois ; mais ceux-ci, de leur côté, avaient un chef qui l’emporta de beaucoup en conduite et en valeur sur tous ceux qui commandèrent de la part des Romains. Ce chef est Amilcar, surnommé Barcas, père de cet Annibal qui, dans la suite, fit la guerre aux Romains.

Après la paix, ces deux états eurent à peu près le même sort. Pendant que les Romains étaient occupés dans une guerre civile qui s’était élevée entre eux et les Falisques, et qui fut bientôt heureusement terminée par la réduction de la ville de ces rebelles, les Carthaginois en avaient aussi une fort considérable à soutenir contre les soldats étrangers, et contre les Numides et les Africains qui étaient entrés dans leur révolte. Après s’être vus souvent dans de grands périls, ils coururent enfin risque, non-seulement d’être dépouillés de leurs biens, mais encore de périr eux-mêmes et d’être chassés de leur propre patrie. Arrêtons-nous ici un peu, sans cependant nous écarter du dessein que nous nous sommes proposé d’abord, de ne rapporter des choses que les principaux chefs, et en peu de mots. Cette guerre, pour bien des raisons, vaut la peine que nous ne passions pas dessus si légèrement ; par ce qui s’y est fait, on apprendra ce que c’était que cette guerre à laquelle beaucoup de gens donnent le nom d’inexpiable. Nous y verrons quelles mesures et quelles précautions doivent prendre de loin ceux qui se servent de troupes étrangères : elle nous fera comprendre quelle différence on doit mettre entre un mélange confus de nations étrangères et barbares, et des troupes qui ont eu une éducation honnête et qui ont été nourries et élevées dans les mœurs et les coutumes du pays ; enfin, ce qui s’est passé dans ce temps-là nous fournira des éclaircissemens sur les véritables raisons qui ont fait naître entre les Romains et les Carthaginois cette guerre sanglante qu’ils se sont faite du temps d’Annibal ; éclaircissemens qui donneront aux curieux d’autant plus de satisfaction, que ni les historiens, ni même les deux partis opposés ne sont d’accord sur ce point.




CHAPITRE XV.


Origine de la guerre des étrangers contre les Carthaginois. — Embarras que donne la conduite d’une armée composée de différentes nations. — Insolence des étrangers. — Vains efforts pour les apaiser. — La guerre se déclare.


Le traité de paix conclu et ratifié, Amilcar conduisit l’armée du camp d’Éryce à Lilybée, et là se démit du commandement. Gescon, gouverneur de la ville, se chargea du soin de renvoyer ces troupes en Afrique ; mais prévoyant ce qui pouvait arriver, il s’avisa d’un expédient fort sage. Il partagea ces troupes, et ne les laissa s’embarquer que partie à partie, et par intervalles, afin de donner aux Carthaginois le temps de les payer à mesure