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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/403

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POLYBE, LIV. I.

lorsque, par un revers de fortune étonnant, elles retombèrent dans le premier état. Les généraux furent à peine réunis, qu’ils se brouillèrent ensemble ; et cela alla si loin que, non-seulement ils perdirent des occasions favorables de battre l’ennemi, mais qu’ils lui donnèrent souvent prise sur eux. Sur la nouvelle de ces dissensions, les magistrats en éloignèrent un, et ne laissèrent que celui que l’armée aurait choisi. Outre cela, les convois qui venaient des endroits qu’ils appellent les Emporées, et sur lesquels ils faisaient beaucoup de fond, tant pour les vivres que pour les autres munitions, furent tous submergés par une tempête ; outre qu’alors l’île de Sardaigne, dont ils tiraient de grands secours, s’était soustraite à leur domination. Et ce qui fut le plus fâcheux, c’est que les habitans d’Hippone-Zaryte et d’Utique, qui seuls des peuples d’Afrique avaient soutenu cette guerre avec vigueur, qui avaient tenu ferme du temps d’Agathocles et de l’irruption des Romains, et n’avaient jamais pris de résolution contraire aux intérêts des Carthaginois, non-seulement les abandonnèrent alors et se jetèrent dans le parti des Africains, mais encore conçurent pour ceux-ci autant d’amitié et de confiance, que de haine et d’aversion pour les autres. Ils tuèrent et précipitèrent du haut de leurs murailles environ cinq cents hommes qu’on avait envoyés à leurs secours ; ils firent le même traitement au chef, livrèrent la ville aux Africains, et ne voulurent jamais permettre aux Carthaginois, quelque instance qu’ils leur en fissent, d’enterrer leurs morts.

Mathos et Spendius, après ces événemens, portèrent leur ambition jusqu’à vouloir mettre le siége devant Carthage même. Amilcar s’associa alors dans le commandement Annibal, que le sénat avait envoyé à l’armée, après que Hannon en eût été éloigné par les soldats, à cause de la mésintelligence qu’il y avait entre les généraux. Il prit encore avec lui Naravase, et, accompagné de ces deux capitaines, il bat la campagne pour couper les vivres à Mathos et à Spendius. Dans cette expédition, comme dans bien d’autres, Naravase lui fut d’une extrême utilité. Tel était l’état des affaires par rapport aux armées de dehors.

Les Carthaginois, serrés de tous les côtés, furent obligés d’avoir recours aux villes alliées. Hiéron, qui avait toujours l’œil au guet pendant cette guerre, leur accordait tout ce qu’ils demandaient de lui. Mais il redoubla de soins dans cette occasion, voyant bien que, pour se maintenir en Sicile et se conserver l’amitié des Romains, il était de son intérêt que les Carthaginois eussent le dessus, de peur que les étrangers prévalant ne trouvassent plus d’obstacles à l’exécution de leurs projets, en quoi l’on doit remarquer sa sagesse et sa prudence ; car c’est une maxime qui n’est pas à négliger, de ne pas laisser croître une puissance jusqu’au point qu’on ne lui puisse contester les choses même qui nous appartiennent de droit.

Pour les Romains, exacts observateurs du traité qu’ils avaient fait avec les Carthaginois, ils leur donnèrent tous les secours qu’ils pouvaient souhaiter, quoique d’abord ces deux états eussent eu quelques démêlés ensemble, sur ce que les Carthaginois avaient traité comme ennemis ceux qui, passant d’Italie en Afrique, portaient des vivres à leurs ennemis, et ils en avaient mis environ cinq cents en prison. Ces hostilités avaient fort déplu aux Romains. Cependant, comme les Carthaginois rendirent de bonne grâce ces prisonniers