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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/482

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POLYBE, LIV. III.

quelque repos à ses troupes. Elles en avaient un extrême besoin. Les fatigues qu’elles avaient essuyées à monter et à descendre par des chemins si difficiles, la disette de vivres, un délabrement affreux les rendaient presque méconnaissables. Il y en avait même un grand nombre que la faim et les travaux continuels avaient réduits au désespoir. On n’avait pu transporter entre des rochers autant de vivres qu’il en fallait pour une armée si nombreuse, et la plupart de ceux que l’on y avait transportés y étaient restés avec les bêtes de charge. Aussi, quoique Annibal, après le passage du Rhône, eût avec lui trente-huit mille hommes de pied et plus de huit mille chevaux ; quand il eut passé les monts, il n’avait guère que la moitié de cette armée ; et cette moitié était si changée par les fatigues qu’elle avait essuyées, qu’on l’aurait prise pour une troupe de sauvages.

Le premier soin qu’eut alors Annibal fut de relever leur courage, et de leur fournir de quoi réparer leurs forces et celles des chevaux. Lorsqu’il les vit en bon état, il tâcha d’abord d’engager les peuples du territoire de Turin, peuples situés au pied des Alpes, et qui étaient en guerre avec les Insubriens, à faire alliance avec lui. Ne pouvant par ses exhortations vaincre leur défiance, il alla camper devant la principale de leurs villes, l’emporta en trois jours, et fit passer au fil de l’épée tous ceux qui lui avaient été opposés. Cette expédition jeta une si grande terreur parmi les Barbares voisins, qu’ils vinrent tous d’eux-mêmes se rendre à discrétion. Les autres Gaulois qui habitaient ces plaines auraient bien souhaité se joindre à Annibal, selon le projet qu’ils en avaient d’abord formé ; mais comme les légions romaines étaient déjà sorties du pays, et avaient évité les embuscades qui leur avaient été dressées, ils aimèrent mieux se tenir en repos ; et d’ailleurs il y en avait parmi eux qui étaient obligés de prendre les armes pour les Romains. Annibal alors jugea qu’il n’y avait point de temps à perdre, et qu’il fallait avancer dans le pays, et hasarder quelque exploit qui pût établir la confiance parmi les peuples qui auraient envie de prendre parti en sa faveur.

Il était tout occupé de ce projet, lorsqu’il eut avis que Publius avait déjà passé le Pô avec son armée, et qu’il était proche. Il n’y avait que peu de jours qu’il avait laissé ce consul aux bords du Rhône ; la route depuis Marseille jusque dans la Thyrrhénie est longue et difficile à tenir, et depuis la mer de Thyrrhénie jusqu’aux Alpes en traversant l’Italie, c’est une marche très-longue et très-pénible pour une armée. Cependant, comme cette nouvelle se confirmait de plus en plus, il fut étonné que Publius eût entrepris cette route, et l’eût faite avec tant de diligence. Publius fut dans le même étonnement à l’égard d’Annibal. Il croyait d’abord que ce grand capitaine n’oserait pas tenter le passage des Alpes avec une armée composée de tant de nations différentes ou que, s’il le tentait, il ne manquerait pas d’y périr. Mais quand on lui vint dire qu’Annibal non-seulement était sorti des Alpes sain et sauf, mais assiégeait encore quelques villes d’Italie, il fut extrêmement frappé de la hardiesse et de l’intrépidité de ce général. À Rome, ce fut la même surprise, lorsqu’on y apprit ces nouvelles. À peine avait-on entendu parler de la prise de Sagonte, et envoyé un des consuls en Afrique pour assiéger Carthage, et l’autre en Espagne contre Annibal, qu’on apprend que ce même Annibal est dans l’Italie à la tête