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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/506

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POLYBE, LIV. III.

son armée. Arrivé à Gérunium, qui n’est qu’à environ un mille de Lucérie, il tâcha d’abord de gagner les habitans par la douceur, et leur offrit même des gages de la sincérité des promesses qu’il leur faisait ; mais n’en étant point écouté, il mit le siége devant la ville. Il s’en vit bientôt ouvrir les portes, et passa tous les assiégés au fil de l’épée ; quant à la plupart des maisons et aux murs, il les laissa dans leur entier, pour en faire des magasins dans ses quartiers d’hiver. Il fit ensuite camper son armée devant la ville, et fortifia le camp d’un fossé et d’un retranchement. De là il envoyait les deux tiers de son armée au fourrage, avec ordre à chacun d’apporter une certaine mesure de blé à ceux qui étaient chargés de le serrer ; la troisième partie de ses troupes lui servait pour garder le camp et pour soutenir les fourrageurs en cas qu’ils fussent attaqués. Comme ce pays est tout en plaines, que les fourrageurs étaient sans nombre et que la saison était propre au transport des grains, tous les jours on lui amassait une quantité prodigieuse de blé.

Cependant Minucius, laissé par Fabius à la tête de l’armée romaine, la conduisait toujours de hauteur en hauteur, dans l’espérance de trouver de là quelque occasion de tomber sur celle des Carthaginois ; mais, sur l’avis que l’ennemi avait pris Gérunium, qu’il fourrageait le pays et qu’il s’était retranché devant la ville, il quitta les hauteurs et descendit au promontoire d’où l’on va dans la plaine. Arrivé à une colline qui est dans le pays des Larinatiens et que l’on appelle Caléla, il campa autour, résolu d’en venir aux mains à quelque prix que ce fût. À l’approche des Romains, Annibal laisse aller un tiers de ses troupes au fourrage, et s’avance avec le reste jusqu’à certaine hauteur éloignée d’environ deux milles, et s’y rallie. De là il tenait les ennemis en respect et mettait ses fourrageurs à couvert. La nuit venue, il détacha environ deux mille lanciers pour s’emparer d’une hauteur avantageuse, et qui commandait de près le camp des Romains. Au jour, Minucius les fit attaquer par ses troupes légères ; le combat fut opiniâtre : les Romains emportèrent la hauteur et y logèrent toute leur armée. Comme les deux camps étaient l’un près de l’autre, Annibal pendant quelque temps retint auprès de lui la plus grande partie de son armée ; mais il fut enfin obligé d’en détacher une partie pour mener paître les bêtes de somme et d’en envoyer une autre au fourrage, toujours attentif à son premier projet, qui était de ne point consommer son butin et de faire de grands amas de vivres, afin que pendant le quartier d’hiver, les hommes, les bêtes de charge, les chevaux surtout ne manquassent de rien ; car c’était sur sa cavalerie qu’il fondait principalement ses espérances.

Minucius s’étant aperçu que la plus grande partie de l’armée carthaginoise était répandue dans la campagne, choisit l’heure du jour qui lui parut la plus commode, mit en marche son armée, s’approcha du camp des Carthaginois, rangea en bataille ses soldats pesamment armés, et, partageant par pelotons ses troupes légères et la cavalerie, il les envoya contre les fourrageurs, avec défense d’en faire aucun prisonnier. Annibal alors se trouva fort embarrassé ; il n’était en état ni d’aller en bataille au devant des ennemis, ni de porter du secours à ses fourrageurs. Aussi les Romains détachés en tuèrent-ils un grand nombre ; et ceux qui étaient en bataille poussèrent leur mépris pour l’armée carthaginoise, jus-