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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/510

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POLYBE, LIV. III.

Tout le monde jeta les yeux sur ce consul ; personne ne parut plus capable d’exécuter avec succès une si grande entreprise. Une vie constamment vertueuse, et les grands services qu’il avait rendus à la république quelques années auparavant dans la guerre contre les Illyriens, réunirent tous les suffrages en sa faveur. On fit même dans cette occasion ce qui ne s’était pas encore fait, on composa l’armée de huit légions, chacune de cinq mille hommes, sans les alliés.

Car, comme nous l’avons déjà dit, les Romains ne lèvent jamais que quatre légions, dont chacune est d’environ quatre mille hommes et deux cents chevaux. Ce n’est que dans les conjonctures les plus importantes qu’ils y mettent cinq mille des uns et trois cents des autres. Pour les troupes des alliés, leur infanterie est égale à celle des légions ; mais il y a trois fois plus de cavalerie. On donne à chaque consul la moitié de ces troupes auxiliaires, et deux légions. On les envoie chacun de leur côté ; et la plupart des batailles ne se donnent que par un consul, deux légions et le nombre d’alliés que nous venons de marquer. Il arrive très-rarement que l’on se serve de toutes ses forces en même temps et pour la même expédition ; ici les Romains emploient non-seulement quatre, mais huit légions : il fallait qu’ils craignissent extrêmement les suites de cette affaire.

Le sénat fit sentir à Émilius de quel avantage serait pour la république une victoire complète, et au contraire de combien de malheurs une défaite serait suivie. On l’exhorta de prendre bien son temps pour une action décisive, et de s’y conduire avec cette valeur et cette prudence qu’on admirait en lui, en un mot, d’une manière digne du nom romain. Dès que les consuls furent arrivés au camp, ils firent assembler les troupes, leur déclarèrent les intentions du sénat, et leur dirent, pour les animer à bien faire, tout ce que les conjonctures présentes leur suggérèrent de plus pressant. Émilius, touché lui-même du malheur de la république, en fit le sujet de sa harangue. Il était important de rassurer les troupes contre les revers qu’elles avaient éprouvés, et de dissiper l’épouvante qu’elles en avaient conçue.

Il dit donc à ses soldats que si dans les combats précédens ils avaient eu le dessous, ils pouvaient par bien des raisons faire voir qu’ils n’en étaient pas responsables ; mais que dans la bataille qui s’allait donner, pour peu qu’ils eussent de courage, rien ne pourrait mettre obstacle à la victoire ; qu’auparavant deux consuls ne commandaient pas la même armée ; que l’on ne s’était servi que de troupes levées depuis peu, sans exercice, sans expérience, et qui en étaient venues aux mains avec l’ennemi sans presque l’avoir vu ; que celles qui avaient été battues sur la Trébie, arrivées le soir de la Sicile, avaient été rangées en bataille le lendemain, dès la pointe du jour ; qu’à la journée de Trasimène, loin d’avoir vu l’ennemi avant le combat, elles n’avaient pu, à cause du brouillard, l’apercevoir, même en combattant. « Mais aujourd’hui, ajouta-t-il, vous voyez toutes choses dans une situation bien différente. Non-seulement les deux consuls de l’année présente marchent à votre tête, et partagent avec vous tous les périls ; mais encore les deux de l’année passée ont bien voulu se rendre aux prières que nous leur avons adressées, de demeurer et de combattre avec nous. Vous connaissez les armes des ennemis, leur ma-