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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/541

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POLYBE, LIV. IV.

Palus‑Méotides, lesquels ont huit mille stades de tour. Comme plusieurs grands fleuves viennent se décharger dans ces deux lits, et qu’il en vient encore un plus grand nombre et de plus grands de l’Europe, quand les Palus‑Méotides en sont remplis, ils s’écoulent dans le Pont par une des bouches, et celui‑ci se jette par l’autre dans la Propontide ; la bouche des Palus‑Méotides s’appelle le Bosphore Cimmérien, large de trente stades sur soixante de longueur. Cette mer est partout fort basse. La bouche du Pont est appelée Bosphore de Thrace, et a cent vingt stades de longueur. Sa largeur n’est pas égale partout. La bouche par où l’on sort de la Propontide commence à l’espace qu’il y a entre Chalcédoine et Byzance, et qui est de quatorze stades. Celle par où l’on sort du Pont s’appelle Hiéron. C’est là qu’on dit que Jason, revenant de la Colchide, sacrifia pour la première fois aux douze dieux. Cet endroit, quoique situé dans l’Asie, n’est distant de l’Europe que de douze stades, au bout desquels, vis-à-vis, on trouve le temple de Sérapis, dans la Thrace.

Les eaux des Palus‑Méotides et du Pont sortent sans cesse de leur lit, et cela vient de deux causes : la première, qui n’est ignorée de personne, c’est parce, que, plusieurs fleuves tombant dans un lit borné tout à l’entour, l’eau grossit et s’élève toujours ; et si elle n’a point d’issue pour sortir, il faut nécessairement qu’à force de s’élever et de s’augmenter, elle se répande par‑dessus les bords dans un espace plus large que son lit, ou, s’il y a des sorties, qu’elle s’écoule. L’autre cause est la grande quantité de sable que les fleuves apportent avec eux dans les grandes pluies, et qui, dressant l’eau, l’élève et l’oblige de sortir par les issues ; et comme les fleuves entrent sans cesse et apportent des sables, il faut aussi que l’écoulement des eaux soit perpétuel. Telles sont les vraies raisons pour lesquelles les eaux du Pont ne restent pas dans leur lit, raisons non fondées sur le rapport des marchands, mais tirées de la nature même des choses, et qui par conséquent ne laissent rien à désirer.

Pendant que nous sommes sur ce sujet, examinons bien tout ce que la nature y a fait. La plupart des historiens n’y ont pas fait attention ; mais je crois qu’il sera d’autant plus à propos de rapporter les raisons de tout, et de n’omettre rien qui puisse arrêter ceux qui sont curieux de ces sortes de recherches, que cela convient parfaitement à notre siècle. Car, puisqu’il n’y a plus de coin du monde où nos voyageurs ne pénètrent par mer ou par terre, on ne doit plus, sur ce que l’on ne sait pas, s’en rapporter aux poètes et aux conteurs de fables, comme ont fait nos prédécesseurs, qui, sur la plupart des doses contestées, ne nous citent que ces témoins infidèles ; il faut tirer de l’histoire même de quoi persuader nos lecteurs.

Je dis donc que les Palus‑Méotides et le Pont se remplissent de sables depuis long-temps, et qu’ils en seront entièrement comblés, à moins qu’il n’y arrive quelque changement dans ce qui s’y fait, et que les fleuves ne discontinuent d’y charrier des sables ; car, la succession des temps étant infinie, et ces lits tout à fait bornés, il est évident que, quand même il n’y tomberait que peu de sable, ils seraient dans la suite entièrement remplis. C’est une loi de la nature, que tout ce qui, étant borné, croît ou se corrompt continuellement pendant un temps infini, bien qu’il ne croisse que peu ou qu’il ne se corrompe que légèrement, arrive né-