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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/670

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POLYBE, LIV. VIII.

daient leurs becs bien loin en dehors des remparts : les unes portaient des pierres qui ne pesaient pas moins de six cents livres, les autres des masses de plomb d’une égale pesanteur. Quand les sambuques s’approchaient, alors on tournait avec un câble les becs de ces machines où il était nécessaire, et, par le moyen d’une poulie que l’on lâchait, on faisait tomber sur la sambuque une pierre, qui ne brisait pas seulement cette machine, mais encore le vaisseau, et jetait ceux qui s’y trouvaient dans un extrême péril.

Il y avait encore d’autres machines qui lançaient sur les ennemis qui s’avançaient, couverts par des claies, afin de se garantir contre les traits lancés des murailles, des pierres d’une grosseur suffisante pour faire quitter la proue des navires à ceux qui y combattaient.

Outre cela, il faisait tomber une main de fer attachée à une chaîne, avec laquelle celui qui dirigeait le bec de la machine comme le gouvernail d’un navire, ayant saisi la proue d’un vaisseau, abaissait l’autre bout du côté de la ville : quand, soulevant la proue dans les airs, il avait dressé le vaisseau sur la poupe, alors liant le bras du levier pour le rendre immobile, il lâchait la chaîne par le moyen d’un moulinet ou d’une poulie. Il arrivait nécessairement alors que les vaisseaux ou bien tombaient sur le côté, ou bien étaient entièrement culbutés ; et, la plupart du temps, la proue retombant de très-haut dans la mer, ils étaient submergés, au grand effroi de ceux qu’ils portaient. Marcellus était dans un très-grand embarras : tous ses projets étaient renversés par les inventions d’Archimède ; il faisait des pertes considérables, les assiégés se riaient de tous ses efforts. Cependant il ne laissait pas que de plaisanter sur les inventions du géomètre. « Cet homme, disait-il, se sert de nos vaisseaux comme de cruches pour puiser de l’eau ; et il chasse ignominieusement nos sambuques à coups de bâton, comme indignes de sa compagnie. » Tel fut le succès du siége par mer.

Appius, ayant souffert les mêmes difficultés, s’était aussi désisté de son entreprise. Quoique son armée fût encore loin de la ville, elle était accablée des pierres et des traits que lançaient les balistes et les catapultes : tant était prodigieuse la quantité de traits qui en partaient, et la force avec laquelle ils étaient lancés ! C’étaient des machines dignes du prince qui en faisait les frais, et d’Archimède, qui les construisait et les faisait agir. Et lorsque les ennemis s’approchaient de la ville, repoussés par les traits qui leur étaient lancés à travers les meurtrières dont nous avons parlé, ils faisaient des efforts superflus. Si, couverts de leurs boucliers, ils tentaient de monter à l’assaut, ils étaient écrasés par les pierres et les poutres qu’on leur faisait tomber sur la tête, sans parler des pertes que leur causaient ces mains de fer dont nous avons fait mention plus haut, et qui, enlevant les hommes avec leurs armes, les brisaient en les laissant retomber contre terre.

Ce consul s’étant retiré dans son camp avec Marcellus, et ayant assemblé son conseil, on y résolut de tenter toutes sortes de moyens pour surprendre Syracuse, à l’exception d’un siége en forme, et cette résolution fut exécutée ; car pendant huit mois qu’ils restèrent devant la ville, il n’y eut sorte de stratagème que l’on n’inventât, ni d’actions de valeur que l’on ne fît, à l’assaut près, que l’on n’osa jamais tenter : tant un seul homme a de force lorsqu’il sait employer son génie à la réussite d’une