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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/672

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POLYBE, LIV. VIII.

bares, il se trouvait de ces insignes débauchés qui ont perdu toute pudeur, ces hommes-là s’assemblaient en Macédoine autour de Philippe, et c’étaient là ses favoris. L’honneur, la sagesse, la probité n’entraient pas dans son cœur. Pour être bien reçu chez lui, y être considéré et élevé aux plus grandes charges ; il fallait être prodigue, ivrogne, joueur ; et il n’encourageait pas seulement ses amis dans ses criminelles inclinations, il les piquait encore d’émulation à qui se signalerait davantage dans tout autre désordre. En effet, par quelle sorte de honte et d’infamie leur âme n’était-elle point souillée ? quel sentiment de vertu et d’honneur pouvait entrer dans leur cœur ? Les uns affectaient une toilette efféminée, les autres se livraient, avec des hommes faits, aux plus sales débauches. On en voyait qui menaient partout avec eux deux ou trois enfans, tristes victimes de leur détestable volupté, et qui se prêtaient à d’autres pour le même usage. À voir cette cour plongée dans la mollesse et dans les plus honteux plaisirs, on pouvait dire que Philippe y avait non des favoris, mais des mignons, et plutôt des femmes prostituées que des soldats ; car, quoique les courtisans dont il était environné fussent naturellement cruels et sanguinaires, leur manière de vivre était telle qu’on ne peut rien s’imaginer de plus mou et de plus dissolu. Pour abréger, car j’ai trop de choses à dire pour m’arrêter long-temps sur chaque sujet, ceux qu’on appelait amis et favoris de Philippe, étaient pires que les Centaures, les Lestrigons, et les animaux les plus féroces. »

Ces exagérations sont-elles supportables ? Quel fiel ! quelle langue empoisonnée ! Théopompe est coupable ici sur bien des chefs : premièrement, il n’est pas d’accord avec lui-même ; en second lieu, rien de plus calomnieux que ce qu’il avance contre Philippe et contre ses amis ; enfin, il calomnie en termes indignes d’un écrivain qui a quelque pudeur. Quand il aurait eu à peindre Sardanapale et sa cour, à peine eût-il osé employer les mêmes couleurs ; ce Sardanapale, dis-je, ce roi si décrié pour sa vie molle et luxurieuse, et sur le tombeau duquel on lit cette épitaphe : « J’emporte avec moi tous les plaisirs que les excès de l’amour et de la table ont pu me donner. » Mais à l’égard de Philippe et de ses amis, il s’en faut qu’on puisse rien leur reprocher de lâche ou de déshonorant ; et tout écrivain qui entreprendrait leur éloge, ne pourrait rien dire de leur courage, de leur fermeté et de leurs autres vertus, qui ne fût beaucoup au-dessous de ce qu’ils méritent. C’est par leurs travaux et par leur intrépidité qu’ils ont reculé les bornes du royaume de Macédoine. Sans parler de ce qu’ils ont fait sous Philippe, combien après sa mort n’ont-ils pas signalé leur courage dans les combats où ils se sont trouvés avec Alexandre ? Ce prince a eu la principale part dans ces exploits, j’y consens ; ce n’est pas à dire pour cela que ses amis ne lui aient été d’un grand secours. Combien de fois ont-ils défait leurs ennemis ? quelles fatigues n’ont-ils pas supportées ? à quels dangers ne se sont-ils pas exposés ? Quand, dans la suite, possesseurs de grands états, ils ont eu tous les moyens de satisfaire leurs passions, jamais ils ne s’y sont livrés jusqu’à altérer leur santé ou faire quelque chose contre la justice ou contre la bienséance. On leur a toujours vu, soit du temps de Philippe, soit du temps d’Alexandre, la même