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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/690

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POLYBE, LIV. IX.

geux. Les femmes courent aux temples, font des vœux aux dieux, balaient de leurs cheveux le pavé des autels ; car telle est leur coutume lorsque la patrie est menacée de quelque grand péril.

Annibal avait déjà fortifié son camp, et devait le lendemain donner le premier assaut à la ville ; mais il arriva par hasard une chose singulière qui fut le salut de Rome. Il y avait déjà quelque temps que Cnéius Fulvius et P. Sulpicius avaient levé une légion, et c’était ce jour-là même que les soldats s’étaient obligés par serment à venir à Rome en armes, et actuellement ils en levaient encore une autre dont ils éprouvaient les soldats. De sorte que par le plus grand bonheur du monde il se rencontra ce jour-là à Rome une grande quantité de troupes. Les consuls se mirent à leur tête, et allèrent camper hors de la ville. Cela refroidit beaucoup la résolution d’Annibal, qui avait quelque espérance d’emporter la ville d’emblée. Mais quand il vit les ennemis rangés devant lui en bataille, et qu’un prisonnier l’eût informé des précautions que les Romains avaient prises, il ne pensa plus à prendre Rome : il voltigea seulement de côté et d’autre ; il ravagea le pays et réduisit en cendres les édifices. Il fit dans les commencemens un butin prodigieux ; cela ne doit pas surprendre, il était venu pour butiner, dans un pays où personne ne croyait que l’ennemi dût jamais venir.

Cependant les consuls ayant eu assez de résolution pour camper à dix stades des Carthaginois, Annibal qui se voyait un grand butin, et qui d’ailleurs ne pouvait plus espérer d’entrer de force dans Rome, décampa un matin et se mit en marche. La plus forte raison qu’il en eût, c’est la supputation qu’il avait faite des jours après lesquels il espérait qu’Appius, informé du péril où était Rome, ou lèverait le siége pour venir au secours de cette ville, ou ne laissant que quelques troupes au siége, viendrait avec la plus grande partie de son armée : deux partis, dont l’un ou l’autre devait être favorable aux Carthaginois.

Au passage de la rivière, Publius lui donna bien de l’embarras ; car, ayant fait rompre les ponts, il l’obligea à la passer à gué, et donna vigoureusement sur ses troupes. Il ne put cependant pas engager une grande action, à cause de la nombreuse cavalerie qu’avait Annibal, et de la facilité qu’ont les Numides à combattre dans toutes sortes de terrains ; mais du moins les Romains, emportèrent une bonne partie du butin, et firent trois cents prisonniers. Ils se retirèrent ensuite dans leur camp. Après cela, pensant que c’était par crainte qu’Annibal faisait retraite, ils se mirent à la suivre par le pied des montagnes.

D’abord ce général, ne perdant point de vue son premier projet, marchait à grandes journées ; mais après cinq jours de marche, sur l’avis qu’il reçut qu’Appius n’avait pas quitté le siége, il fit faire halte, pour donner aux traînards le temps de rejoindre, et pendant la nuit il se jette sur le camp des Romains, en tue un grand nombre et chasse le reste hors du camp. Le jour venu, voyant que les Romains s’étaient retirés sur une hauteur très-forte, il ne crut pas pouvoir venir à bout de les en chasser ; mais, prenant sa marche par la Daunie et traversant le pays des Bruttiens, il s’avança si près de Rheggio, sans avoir été découvert, que peu s’en fallut qu’il ne se rendit maître de la ville. Il prit au moins tous ceux qui se trouvèrent dans la campagne, et entre autres un grand nombre de citoyens de Rheggio.

Peut-on voir ici sans étonnement