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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/692

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POLYBE, LIV. IX.

n’ai eu en vue que ceux qui, chez ces deux peuples, sont à la tête des affaires, et qui, dans la suite, doivent être employés pour le bien de leur république, afin que, se rappelant et se remettant sous les yeux ce que je viens de dire, ils s’étudient à imiter ces grands modèles. Qu’ils se persuadent que, quoique certaines actions paraissent hardies et dangereuses, cette hardiesse cependant n’expose à aucun risque, et ne mérite que des louanges et des applaudissemens, et que soit qu’on réussisse ou qu’on ne réussisse pas, on s’acquiert une gloire immortelle, pourvu que ce que l’on fait soit fait avec jugement et avec prudence. (Dom Thuillier.)


III.


Si les Romains ont eu raison, et s’il était de leur intérêt de transporter dans leur patrie les richesses et les ornemens des villes conquises.


Syracuse ne doit pas sa beauté à des ornemens apportés du dehors, mais à la vertu de ses habitans. (In cod. Urbin.) Schweigh.


Les Romains résolurent donc de transporter dans leur patrie les ornemens dont nous avons parlé, et de n’en rien laisser dans les villes qu’ils avaient soumises à leur domination. Savoir maintenant s’ils ont eu raison, et s’il était de leur intérêt d’en agir ainsi, ce serait le sujet d’une longue discussion. Il y a plus de raison de croire qu’ils ont eu et qu’ils ont encore tort de le faire aujourd’hui. Si c’était en dépouillant ainsi les villes qu’ils eussent commencé à illustrer leur patrie, il est clair qu’ils auraient bien fait d’y transporter ce qui en avait augmenté la puissance et la gloire. Mais si c’est par une manière de vie très-simple et par un éloignement infini du luxe et de la magnificence qu’ils se sont soumis les peuples chez qui il se trouvait le plus de ces ornemens et les plus beaux, il faut reconnaître qu’ils ont fait une grande faute de les enlever ; car quitter les mœurs auxquelles on doit ses victoires pour prendre celles des vaincus, et se charger, en les prenant, de l’envie qui accompagne toujours ces brillans dehors d’une grande fortune, ce qui est la chose du monde que les puissances doivent craindre le plus, c’est assurément une conduite qui ne se peut excuser. Loin de faire des vœux pour la prospérité de gens qui ont envahi des richesses étrangères auxquelles on porte envie, on a compassion de ceux qui en ont été d’abord dépouillés ; et quand le bonheur prend de nouveaux accroissemens, qu’il attire à lui tout ce que les autres possédaient, et qu’il étale ces richesses aux yeux de ceux qui en ont été privés, de là au lieu d’un mal il en arrive deux ; car ce n’est plus des maux d’autrui que ces spectateurs ont compassion, c’est d’eux-mêmes, lorsqu’ils se rappellent leurs propres malheurs. Et alors non-seulement l’envie, mais encore la colère les transporte contre ceux que la fortune a élevés sur leurs ruines ; car l’on ne peut guère se souvenir de ses anciennes calamités sans en haïr les auteurs. Si les Romains n’eussent amassé dans leurs conquêtes que de l’or et de l’argent, ils ne seraient pas à blâmer. Pour parvenir à l’empire universel, il fallait nécessairement ôter ces ressources aux peuples que l’on voulait vaincre et se les approprier. Mais pour toutes les autres richesses il leur serait plus glorieux de les laisser où elles étaient, avec l’envie qu’elles attirent, et de mettre la gloire de leur patrie non dans l’abondance et la beauté des tableaux et des statues, mais dans