Aller au contenu

Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/712

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
704
POLYBE, LIV. X.

célèbres qui se montrèrent avant lui, chacun tient à savoir ce qu’était ce héros, son caractère, ses habitudes, et comment il est parvenu à l’accomplissement de tant de grandes choses. Mais les écrivains qui jusqu’ici ont parlé de lui, ont toujours été en dehors de la vérité, et n’ont su tirer leurs lecteurs de l’ignorance que pour les jeter dans l’erreur. La série des faits que je vais rapporter prouvera ce que j’avance à tous ceux qui veulent connaître et savent estimer les grandes et nobles actions.

Tous, sans exception, nous le dépeignent comme un de ces favoris de la fortune, qui réussissent dans toutes leurs entreprises, quoique la plupart du temps le hasard y ait plus de part que la bonne conduite ; selon eux, il y a dans cette espèce de héros quelque chose de plus surprenant et de plus divin, pour ainsi dire, que dans ceux qui suivent la raison pour guide en toutes choses. La distinction que l’on doit mettre entre le louable et l’heureux leur est inconnue. Cependant celui-ci est commun même parmi le vulgaire ; l’autre ne convient qu’aux hommes judicieux et réfléchis. Ce sont ces derniers qu’il faut regarder comme divins au suprême degré, et comme chéris des dieux.

Il me paraît que Scipion et Lycurgue, ce célèbre législateur des Lacédémoniens, se ressemblent tout-à-fait et pour le caractère et pour la conduite ; car ne croyons pas que ce fut en consultant superstitieusement en toutes choses une prêtresse d’Apollon, que Lycurgue établit le gouvernement de Lacédémone, ni que Scipion se soit fondé sur des songes et sur des augures pour reculer les bornes de l’empire romain ; mais, tous les deux voyant que la plupart des hommes n’approuvent pas aisément les projets extraordinaires, et qu’ils craignent de s’exposer aux grands dangers, à moins qu’ils ne croient avoir lieu d’espérer l’assistance des dieux, l’un ne proposait jamais rien qu’il ne s’autorisât d’un oracle de la Pythie, et par là il rendait ses propres pensées plus respectables et plus dignes de foi ; et l’autre, par la même adresse faisant passer tous ses desseins pour inspirés des dieux, donnait à ceux qu’il commandait plus de confiance et d’ardeur à entreprendre ce qu’il projetait de plus difficile.

Que la raison et la prudence aient conduit tous les pas de Scipion, et que ses entreprises n’aient été heureuses que parce qu’elles devaient l’être, c’est ce qui deviendra évident par tout ce que nous avons à dire de ce grand homme. On convient d’abord qu’il était bienfaisant et magnanime. Pour la pénétration d’esprit, la sobriété et l’application aux affaires, il n’y a que ceux qui ont vécu avec lui et qui l’ont parfaitement connu, qui lui accordent ces vertus. Caïus Lélius était de ce nombre : c’est lui qui m’en a donné cette idée, qui m’a paru d’autant plus juste, qu’ayant été, depuis la plus tendre jeunesse jusqu’à la mort de Scipion, témoin continuel de toutes ses actions et de toutes ses paroles, il ne me disait rien qui ne répondît exactement aux actions de ce consul.

La première occasion, m’a-t-il dit, où il se distingua, fut le combat de cavalerie que son père livra à Annibal sur les bords du Pô. Il n’avait alors que dix-sept ans, et c’était sa première campagne. On lui avait donné pour sa garde une compagnie de cavaliers d’une valeur éprouvée. Dans ce combat, apercevant son père enveloppé par les ennemis avec deux ou trois cavaliers, et dangereusement blessé, d’abord il