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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/715

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POLYBE, LIV. X.

sort. Ayant appris ensuite que les alliés d’en deçà de l’Èbre, n’avaient pas changé à l’égard des Romains, que les chefs des Carthaginois ne s’accordaient pas entre eux, et traitaient durement ceux qui leur étaient soumis, il ne craignit plus rien pour le succès de cette guerre. Et cette confiance n’était pas fondée sur la faveur de la fortune, c’était le fruit de ses réflexions. À peine est-il arrivé en Ibérie, qu’il met tout en mouvement, qu’il fait des questions à tout le monde sur l’état dans lequel étaient les affaires des ennemis. On lui dit que de leurs troupes ils avaient fait trois corps d’armée ; que Magon, à la tête d’un de ces corps, était au-delà des colonnes d’Hercule, chez les Coniens ; qu’Asdrubal, fils de Giscon, campait avec l’autre dans la Lusitanie près de l’embouchure du Tage, et que l’autre Asdrubal avec le troisième assiégeait quelque ville des Carpétaniens, qu’enfin il n’y avait aucun d’eux qui ne fût au moins à dix journées de Carthage-la-Neuve.

Là-dessus il jugea d’abord qu’il n’était pas nécessaire de livrer une bataille rangée ; car, prenant ce parti il faudrait ou combattre tous les ennemis rassemblés, et alors ce serait tout hasarder, tant à cause des pertes précédentes, que parce qu’il avait beaucoup moins de troupes que les ennemis ; ou n’en attaquer qu’un détachement, auquel cas il craignait que celui-ci mis en fuite et les autres venant à son secours, il ne fût enveloppé et ne tombât dans les mêmes malheurs, que Cnéius son oncle et Publius son père. Il se tourna donc d’un autre côté.

Sachant déjà que Carthage-la-Neuve fournissait de grands secours aux ennemis, et qu’elle était un très-grand obstacle au succès de la guerre présente, il se fit instruire pendant les quartiers d’hiver, par des prisonniers, de tout ce qui concernait cette ville. Il apprit que c’était presque la seule ville d’Ibérie qui eût un port propre à recevoir une flotte et une armée navale ; qu’elle était située de manière à ce que les Carthaginois pouvaient commodément y venir d’Afrique, et faire le trajet de mer qui les en sépare ; qu’on y gardait une grande quantité d’argent, que tous les équipages des armées s’y trouvaient ainsi que les ôtages de toute l’Ibérie ; et ce qui était le plus important, qu’on n’y avait levé que mille hommes pour garder seulement la citadelle, parce qu’il ne venait dans l’esprit à personne, que les Carthaginois étant maîtres de presque toute l’Ibérie, quelqu’un osât songer à mettre le siége devant cette ville ; qu’il y avait à la vérité d’autres habitans dans la ville que les Carthaginois, même en grand nombre, mais artisans pour la plupart, ouvriers, gens de mer, tous très-ignorans sur la science de la guerre, et qui ne serviraient qu’à avancer la prise de la ville, si tout d’un coup il se présentait.

Il n’ignorait non plus ni la situation de la ville, ni les munitions qu’elle renfermait, ni la disposition de l’étang dont elle est environnée. Quelques pêcheurs l’avaient informé qu’en général cet étang était marécageux, guéable en beaucoup d’endroits, et que fort souvent vers le soir la marée se retirait. Tout cela lui fit conclure que, s’il venait à bout de son dessein, il désolerait autant les ennemis qu’il avancerait ses propres affaires ; que si cela manquait, il lui serait aisé, tenant la mer, de se retirer sain et sauf, pourvu seulement qu’il mît son camp en sûreté, chose qui n’était pas difficile, vu l’éloignement où étaient les troupes des ennemis. Ainsi, abandonnant tout autre dessein, il ne pensa plus pendant ses quartiers

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