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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/734

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POLYBE, LIV. X.

avait devant lui une plaine qui, enfermée tout autour d’une colline, avait assez de profondeur pour y être à couvert, et assez d’étendue pour y ranger une armée en bataille. Asdrubal ne quitta pas cette position, se contentant de mettre sur la colline des postes avancés. D’abord, en approchant, Scipion ne souhaitait rien tant que de combattre ; mais la situation avantageuse du poste des ennemis l’embarrassait. Il suspendit l’attaque pendant deux jours, après lesquels craignant que Magon et Asdrubal fils de Giscon ne vinssent l’envelopper de tous côtés, il résolut de tenter la fortune et d’éprouver un peu l’ennemi. Ayant donc averti son armée de se tenir prête, il retient ses légions dans les retranchemens, il envoie les vélites et quelques manipules d’infanterie d’élite pour harceler les postes établis sur la colline. Cet ordre s’exécute avec vigueur. Le général des Carthaginois attendait d’abord l’événement sans se mouvoir ; mais voyant ses troupes serrées de près il s’ébranle, et, plein de confiance dans l’avantage de son poste, il range son armée en bataille sur le haut de la colline.

En même temps, Scipion détache toutes ses troupes à la légère pour soutenir ceux qui avaient commencé l’attaque, puis partage ses troupes en deux corps égaux. Il en donne un à Lélius, avec ordre de tourner la colline qui était à la droite des ennemis, puis il prend l’autre, fait le tour de la colline et vient fondre sur leur gauche. Ce fut alors qu’Asdrubal fit sortir véritablement du camp toutes ses troupes, car jusqu’alors il se fiait tant sur la force de sa position, qu’il ne croyait pas que jamais les Romains osassent l’attaquer. Mais il s’y prit trop tard pour ranger son armée. Les Romains profitent de cette faute, prennent en flanc les ailes avant qu’elles eussent occupé leurs postes, et non-seulement montent sans péril sur la colline, mais, avançant pendant que les ennemis étaient encore en mouvement pour se ranger, tombent sur le flanc de ceux qui étaient en marche, massacrent les uns et mettent les autres eu fuite au moment où ils se rangeaient en bataille. Quand Asdrubal vit ses troupes plier et prendre la fuite, il suivit le plan qu’il avait formé d’abord. Il ne voulut pas tenir jusqu’à l’extrémité ; il prit tout ce qu’il avait d’argent et d’éléphans, et, ralliant les fuyards, il se retira vers le Tage pour de là passer les Pyrénées et descendre chez les Gaulois qui habitent dans ces contrées.

Scipion ne crut pas qu’il fût à propos de le poursuivre, de crainte que les autres généraux ne vinssent le surprendre ; il abandonna seulement le camp des ennemis au pillage. Le lendemain, ayant fait rassembler tous les prisonniers assemblés au nombre de dix mille fantassins et de deux mille cavaliers, il réfléchit à ce qu’il devait en faire. Tout ce qu’il avait d’Espagnols, qui dans cette occasion avaient pris les armes pour les Carthaginois, vinrent se rendre aux Romains, et, dans les entretiens qu’ils eurent avec eux, ils donnaient à Scipion le titre de roi. Édecon avait été le premier à le lui donner en le saluant, et Indibilis avait suivi son exemple. Scipion d’abord n’y avait pas fait attention ; mais après la bataille, tout le monde le saluant sous ce titre, il y pensa sérieusement. C’est pourquoi, ayant fait assembler les Espagnols, il leur dit qu’il voulait bien passer chez eux pour un homme d’un cœur vraiment royal et être tel en effet ; mais qu’il ne voulait pas que personne l’appelât roi, et qu’il