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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/764

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POLYBE, LIV. XII.

ceux qui ne s’écartent de la vérité que parce qu’elle ne leur était pas connue. (Dom Thuillier.)


Timée.


L’histoire de Timée est pleine de faussetés semblables. Cet écrivain paraît cependant ne pas être tombé dans ce défaut par ignorance des faits, mais il semble plutôt avoir été aveuglé par l’esprit de parti ; car toutes les fois qu’il s’agit de louer ou de blâmer quelqu’un, il oublie aussitôt ce qu’il se doit à lui-même et enfreint toutes les lois de la bienséance. Au reste en voilà assez pour justifier Aristote. On a vu pourquoi et sur quels fondemens il a parlé des Locriens de la manière que nous, avons dite. Mais ceci nous donne occasion de porter notre jugement sur Timée et sur toute son Histoire, et en même temps de parler du devoir d’un historien. Je crois avoir montré que Timée et Aristote n’ont été guidés que par des conjectures, et que le sentiment de celui-ci est plus vraisemblable que celui de l’autre. Or, pour être suivi, il suffit qu’il soit tel, car là-dessus on ne peut rien découvrir d’incontestablement vrai.

Mais accordons à Timée qu’il a le plus approché de la vérité. Cela lui donnait-il le droit de décrier, de déchirer, de condamner à mort, pour ainsi dire, ceux qui avaient été moins heureux que lui ? Non assurément. Ce n’est qu’à l’égard des historiens qui de dessein prémédité débitent des choses fausses, qu’on doit être rigoureux et implacable ; mais ceux qui ne tombent dans ce défaut que parce qu’ils sont mal informés doivent être plus ménagés. On relève avec bienveillance leurs fautes et on les leur pardonne. Sur ce principe, ou il faut prouver que ce qu’Aristote a dit des Locriens, il l’a dit ou pour plaire à quelqu’un, ou pour en tirer quelque gratification, ou parce qu’il avait quelque démêlé avec eux : ou si l’on n’ose avancer rien de tout cela contre Aristote, on doit convenir que les traits piquans que Timée a lancés contre lui marquent un homme peu attentif à ses devoirs. Car voici le portrait qu’il en fait.

Aristote, si l’on en croit Timée, était un homme hardi, étourdi, téméraire, qui, par une calomnie imprudente, a osé dire des Locriens, qu’ils étaient une colonie composée d’esclaves fugitifs et de gens corrompus, et qui avance cette fausseté avec tant d’assurance, qu’il semblerait, à l’entendre, que c’est un général d’armée, et que c’est lui qui, à la tête de ses troupes, a défait depuis peu les Perses en bataille rangée aux portes de la Cilicie. On sait cependant, continue Timée, que c’est un sophiste ignorant, haïssable, qui sur ses vieux jours, d’apothicaire accrédité s’est avisé de s’ériger en historien, qui pique toutes les tables, gourmand, entendu en cuisine, prêt à tout faire pour un bon morceau. À quel tribunal souffrirait-on qu’un homme de la lie du peuple vomît ces injures contre sa patrie ? Ces excès ne paraîtraient-ils pas insupportables ? Un historien qui connaît ses devoirs, non-seulement ne salit pas ses écrits de ces sortes de grossièretés, il n’ose pas même les penser.

Mais examinons un peu de près le sentiment de Timée, et comparons les raisons sur lesquelles il se fonde avec celles d’Aristote ; par là nous serons en état de juger lequel des deux mérite la censure. Il assure que, sans s’arrêter à des vraisemblances, il a été lui-même en Grèce consulter les Locriens sur l’origine de leur colonie, que d’abord