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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/776

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POLYBE, LIV. XII.

Le devoir de l’historien est d’abord de connaître les discours, tels qu’ils ont été prononcés véritablement, ensuite de remonter à la cause qui a fait réussir l’action ou le discours ; car ce genre d’éloquence, par sa simplicité, procure au lecteur plus de plaisir que d’utilité ; mais si l’auteur y ajoute la cause des faits, l’étude de l’histoire devient fructueuse.

En effet, la comparaison des circonstances analogues avec celles où nous nous trouvons, nous donne les moyens de prévoir l’avenir, de sorte que, tantôt en évitant, tantôt en imitant les exemples du passé, nous nous livrons à nos entreprises avec plus de confiance. Mais Timée, en passant sous silence les discours qui ont été prononcés, les causes qui les ont amenés, et en les remplaçant par des mensonges et par de verbeuses argumentations, prive l’histoire de son véritable caractère. Voilà le défaut capital de cet historien, et nous savons tous que ses ouvrages sont des morceaux de ce genre. (Ibid.)


Mais, dira-t-on peut-être, si Timée est tel que vous le dépeignez, pourquoi a-t-il obtenu tant d’approbation et de confiance de la part de certaines gens ? C’est que ses écrits étant remplis de critiques amères sur les ouvrages d’autrui, il réussit moins par son mérite personnel que par les accusations qu’il prodigue, genre pour lequel Timée me paraît doué d’une ardeur et d’une disposition merveilleuse. Pareille chose arriva au physicien Siraton, qui est admirable lorsqu’il entreprend d’analyser ou de réfuter les opinions des autres, mais qui, s’il tire quelque chose de son propre fond, s’il met au jour ses opinions, paraît, aux yeux des gens habiles, bien plus médiocre et bien plus incapable que les auteurs, objets de ses critiques. Il en est, je crois, des historiens comme de nous tous dans le cours de la vie, c’est-à-dire qu’il nous est facile de blâmer les autres, et difficile de nous montrer nous-mêmes irréprochables ; et en général, on remarque, il faut l’avouer, que les personnes les plus portées à juger sévèrement autrui sont celles qui commettent le plus de fautes dans leur conduite. (Ibid.)


Timée, indépendamment de ce qui vient d’être dit, a encore un autre défaut. Une résidence de cinquante ans à Athènes, et une longue étude des mémoires relatifs aux temps passés, lui ont fait supposer qu’il possédait les plus heureuses dispositions pour écrire l’histoire ; mais il se trompe suivant moi : car comme l’histoire et la médecine ont quelque chose d’analogue, en ce que l’une et l’autre se divise en trois parties bien tranchées ; ainsi peut-on dire que ces deux sciences réclament la même aptitude de la part de ceux qui s’y livrent. La médecine, par exemple, se divise en trois parties : la première s’appelle médecine rationnelle, la seconde médecine diététique, et la troisième médecine chirurgicale et pharmaceutique. En général, le charlatanisme et l’imposture sont le propre de cet art ; mais le rationalisme, qui a pris naissance principalement à Alexandrie, chez ceux que l’on appelle Hiérophiliens et Callimachiens, s’est saisi de cette branche de la médecine ; à l’aide de brillans dehors et d’éclatantes promesses, il a su produire une telle illusion, que tous les autres médecins paraissent ne point posséder leur art. Mais que pour les éprouver on vienne à leur mettre un malade entre les mains, ils