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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/784

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POLYBE, LIV. XII.

voulant nous montrer en la personne d’Ulysse quelles doivent être les qualités d’un homme propre aux grandes affaires : « Muse, dit-il, faites-moi l’éloge de cet homme subtil et rusé qui a couru tant de pays, qui a vu tant de villes et connu les mœurs de tant de nations ; qui a essuyé sur mer tant de travaux et de peines, qui s’est trouvé dans tant de guerres, et a été tant de fois exposé à la violence des flots. » C’est un écrivain de ce genre-là, que la dignité de l’histoire demanderait. Comme Platon dit que les hommes seraient heureux si les philosophes étaient rois, ou si les rois étaient philosophes, je dirais volontiers, moi, qu’il ne manquerait rien à l’histoire, si les personnes employées dans les grandes affaires l’écrivaient eux-mêmes, non par manière d’acquit, comme on fait aujourd’hui ; mais avec le soin qu’on prendrait si on était persuadé que de tous les devoirs de la vie, le plus nécessaire et le plus noble serait de s’y appliquer, sans que jamais rien pût en détourner, ou si ceux qui se mêlent de l’écrire regardaient l’usage et l’expérience des affaires comme une préparation nécessaire à un historien. Jusque là on doit s’attendre à voir bien des fautes dans les histoires. Or, Timée ne s’est nullement mis en peine d’acquérir cette préparation. Il n’est jamais sorti du lieu où il demeurait. Affaires, guerre, politique, voyages, recherches, il semblait avoir voulu renoncer à tout. Malgré cela, il est en réputation de bon historien. Je ne conçois pas ce qui lui a mérité cet honneur. (Angelo Mai, ubi suprà ; et deinde Dom Thuillier.)


Tel fut Timée, et c’est lui-même qui nous l’apprend. Il est, du reste, facile de s’en convaincre ; car, dans le commencement de son livre vi, il dit que plusieurs personnes supposent que le genre démonstratif exige une plus grande intelligence, un travail plus consciencieux et plus de connaissances acquise que le genre historique n’en réclame ; que cette opinion avait été émise par je ne sais qui, devant Éphore, et que celui-ci, ne pouvant la réfuter, s’est efforcé d’établir une comparaison entre les deux genres, en mêlant les discours à l’histoire. (Angelo Mai ; Jacob. Geel, ubi suprà.)


Timée avance là une absurdité ; c’est d’ailleurs calomnier cet historien. Éphore, dans tous ses travaux historiques, se montre admirable pour son style, pour ses vues, et pour le plan de son sujet ; il fait également preuve d’une grande habileté dans ses digressions et dans les maximes qu’il tire de son propre fond ; pour tout dire enfin, toutes les fois qu’au sujet principal il ajoute un discours, je ne sais comment il arrive qu’on aime à entendre avec un égal plaisir l’historien et l’orateur. Cependant Timée, pour ne point paraître avoir usé de calomnie contre Éphore et contre d’autres écrivains, blâme toujours et à tout propos ce qu’ont fait de bien tous les historiens, et, parce qu’il a dit sur chacun tout le mal possible, il se figure que personne au monde ne s’apercevra de sa méchanceté. (Ibid.)


Cependant, jaloux de donner de l’importance à la mission de l’historien, Timée commence par dire qu’il y a autant de différence entre le genre historique et le genre démonstratif, qu’il en existe entre les édifices véri-