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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/792

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POLYBE, LIV. XIV.

ment. Mettre le feu à ces huttes était une affaire à laquelle les ennemis ne s’attendaient pas et d’un avantage infini ; Scipion ne pensa plus qu’à l’entreprendre. Jusque là il avait toujours rejeté les propositions qu’on lui apportait de la part de Syphax, qui étaient : qu’il fallait que les Carthaginois sortissent de l’Italie et les Romains de l’Afrique, gardant les uns et les autres ce qu’ils avaient entre ces deux états avant la guerre. Mais alors il laissa entrevoir à ce prince que ce qu’il proposait n’était pas impossible. Syphax, charmé de cette nouvelle, ne prit plus garde de si près à ceux qui allaient et venaient ; ce qui fit que Scipion envoyait dans son camp et plus souvent et plus de monde à la fois, et que même pendant quelques jours on resta dans le camp les uns des autres sans défiance et sans précaution. Ce fut alors que Scipion fit partir avec ses députés quelques personnes intelligentes et des officiers déguisés en esclaves pour observer les entrées et les issues des deux camps ; car il y en avait deux : celui d’Asdrubal où l’on comptait trente mille hommes de pied et trois mille chevaux, et celui des Numides, où il y avait dix mille chevaux et cinquante mille hommes d’infanterie. Celui-ci n’était qu’à dix stades de l’autre, et il était plus aisé à forcer et à brûler, les huttes des Numides n’étant faites, comme nous l’avons dit, que de roseaux et de feuillages, sans terre et sans bois.

À l’entrée du printemps, toutes les mesures étant prises pour exécuter le projet de brûler le camp des ennemis, Scipion fit mettre des vaisseaux en mer et dresser dessus des machines comme pour assiéger Utique par mer. Il détacha deux mille hommes de pied pour s’emparer d’une hauteur qui commandait la ville et la fortifier par un bon fossé conduit tout autour. Par là, il donnait à croire aux ennemis qu’il en voulait à Utique ; mais son véritable dessein était de mettre là un corps qui, pendant le temps de l’expédition, empêchât qu’après le départ de l’armée, la garnison d’Utique n’entreprît d’attaquer le camp qui n’en était pas loin, et d’assiéger ceux qu’il y aurait laissés pour le garder.

Pendant ces préparatifs, il députait à Syphax pour savoir de lui s’il était toujours dans les mêmes sentimens, si les Carthaginois consentaient à la paix, s’ils ne demanderaient pas de nouvelles délibérations sur ce point, et il avait donné ordre aux députés de ne pas revenir qu’ils ne lui apportassent réponse sur chacun de ces articles. Cette défense de retourner sans réponse, cette inquiétude sur la disposition où étaient les Carthaginois, persuadèrent au Numide que Scipion songeait sérieusement à conclure la paix. Dans cette pensée, il envoie avertir Asdrubal de ce qui se passait et l’exhorter à finir la guerre ; vivant pendant ce temps-là sans souci et ne s’embarrassant pas que les Numides qui venaient de nouveau se logeassent hors du camp ; Scipion affectait la même tranquillité, mais au fond il ne perdait pas de vue son projet.

Syphax averti, de la part des Carthaginois, qu’il n’avait qu’à traiter avec les Romains, transporté de joie, en donne avis aux députés, qui, sur-le-champ, portèrent cette nouvelle à Scipion. Ce général lui renvoya dire aussitôt, que pour lui il ne demandait pas mieux que de faire la paix, mais que son conseil était d’avis qu’il fallait continuer la guerre. C’était de peur que s’il faisait quelque acte d’hostilité pendant que l’on traitait de paix, il ne parût aller contre la bonne foi ; au lieu qu’après cette déclaration, il croyait être à couvert de tout reproche, quelque