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POLYBE, LIV. XIV.

trième, de part et d’autre, on se mit en bataille. Du côté de Scipion, les hastaires d’abord selon la coutume, ensuite les princes, et derrière eux les triaires, la cavalerie italienne à l’aile droite, les Numides et Massinissa à l’aile gauche. De l’autre côté, les Celtibériens au centre, opposés aux Romains, les Numides sur l’aile gauche, et les Carthaginois sur la droite. Dès la première charge la cavalerie italienne renversa les Numides, et Massinissa les Carthaginois. On ne devait pas attendre plus de résistance de la part de gens découragés et abattus par tant de défaites. Mais les Celtibériens combattirent avec beaucoup de valeur et comme ne pouvant se sauver que par la victoire ; car, ne connaissant pas le pays, ils ne pouvaient espérer de trouver leur salut dans la fuite ; et la perfidie qui leur avait fait prendre les armes contre les Romains, quoique pendant la guerre d’Espagne on n’eût commis contre eux aucun acte d’hostilité, leur ôtait toute espérance d’en obtenir quartier. Cependant, les ailes rompues, ils furent bientôt enveloppés par les princes et les triaires. On en fit un carnage horrible, dont il n’y en eut que fort peu qui échappèrent. Ils ne laissèrent pas d’être fort utiles aux Carthaginois, car non-seulement ils se battirent avec courage, mais ils favorisèrent encore beaucoup leur retraite. Si les Romains ne les eussent pas eus en tête et qu’ils eussent d’abord poursuivi les ennemis, à peine en serait-il resté un seul. Le combat qu’il fallut leur livrer fut cause que Syphax avec sa cavalerie se retira sans risque chez lui, et Asdrubal à Carthage avec ce qui s’était sauvé de la bataille.

Le général des Romains, après avoir mis ordre aux dépouilles et aux prisonniers, assembla son conseil pour décider ce qu’il y avait à faire dans la suite. Il y fut résolu que pendant que Scipion et une partie de l’armée parcourraient les villes pour se les soumettre, Lélius et Massinissa avec les Numides et une partie des légions romaines poursuivraient Syphax, pour ne pas lui donner le temps de penser à ses affaires et de réparer ses pertes. Le conseil fini, on se sépara, et on exécuta d’abord ce dont on était convenu. Il y eut des villes qui n’attendirent pas qu’on les forçât pour se rendre, tant la crainte des armes de Scipion avait abattu leur courage ; les autres furent prises d’emblée. Tout le pays était prêt à se soulever contre les Carthaginois, accablé qu’il était des longues guerres qui s’étaient faites en Espagne, et des impôts qu’il avait fallu payer pour les soutenir.

À Carthage, quoique l’incendie des deux camps eût beaucoup ébranlé les esprits, la confusion devint bien plus grande par la perte de la bataille. Ce second coup les consterna et leur fit perdre toute espérance. Cependant il se trouva de généreux sénateurs qui furent d’avis qu’on allât par mer attaquer les Romains qui étaient devant Utique, qu’on tâchât de leur faire lever le siége et qu’on leur présentât un combat naval pendant qu’ils ne s’attendaient à rien moins, et qu’ils n’avaient rien de prêt pour le soutenir. Ils voulaient de plus qu’on dépêchât à Annibal, et que sans délai on tentât encore cette dernière voie de faire tête aux Romains ; espérant que, selon toutes les apparences, ces deux moyens auraient un heureux succès. D’autres cependant soutinrent qu’ils n’étaient pas praticables dans les conjonctures présentes ; qu’il valait mieux fortifier Carthage et se tenir prêt à en soutenir le siége ; qu’il se présenterait assez d’occasions de se