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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/802

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POLYBE, LIV. XV.

vos souhaits en Espagne et en Afrique ; rien jusqu’à présent n’a traversé le cours de vos prospérités ; quelques fortes raisons dont je me serve pour vous porter à la paix, vous ne vous laisserez pas persuader. Cependant, considérez, je vous prie, combien l’on doit peu compter sur la fortune. Vous n’avez pas besoin pour cela de chercher des exemples dans l’antiquité ; jetez les yeux sur moi. Je suis cet Annibal qui, après la bataille de Cannes, maître de presque toute l’Italie, marchais quelque temps après sur Rome même, et qui, campé à quarante stades de cette ville, délibérais déjà sur ce que je ferais de vous et de votre patrie. Et aujourd’hui, de retour en Afrique, me voilà obligé de traiter avec un Romain de mon salut et de celui des Carthaginois. Que cet exemple vous apprenne à ne pas vous enorgueillir, à penser que vous êtes homme, et par conséquent à choisir toujours le plus grand des biens et le plus petit des maux. Quel est l’homme sensé qui voulût s’exposer au péril qui vous menace ? Quand vous remporteriez la victoire, vous n’ajouteriez pas beaucoup à votre gloire ni à celle de votre patrie ; au lieu que si vous êtes vaincu, vous perdez par vous-même tout ce que vous avez jusqu’à présent acquis de gloire et d’honneur. Mais à quoi tend ce discours ? À vous faire convenir de ces articles : que la Sicile, la Sardaigne et l’Espagne, qui ont fait ci-devant le sujet de nos guerres, demeureront aux Romains ; que jamais les Carthaginois ne prendront les armes contre eux pour ces royaumes, et que tout ce qu’il y a d’autres îles entre l’Italie et l’Afrique appartiendra aussi aux Romains. Il me semble que ces conditions, en mettant les Carthaginois en sûreté pour l’avenir, vous sont en même temps très-glorieuses à vous en particulier et à toute votre république. » Ainsi parla Annibal.

Scipion répondit que ce n’étaient pas les Romains, mais les Carthaginois, qui avaient été la cause de la guerre de Sicile et de celle d’Espagne ; qu’Annibal lui-même le savait bien, et que les dieux en avaient pensé ainsi, puisqu’ils avaient favorisé non les Carthaginois, qui avaient entrepris une guerre injuste, mais les Romains, qui n’avaient fait que se défendre ; que cependant ces succès ne lui faisaient pas perdre de vue l’inconstance de la fortune et l’incertitude des choses humaines. « Mais, ajouta-t-il, si, avant que les Romains passassent en Afrique, vous fussiez sorti de l’Italie et eussiez proposé ces conditions, je ne crois pas qu’on eût refusé de les écouter. Aujourd’hui, que vous êtes revenu d’Italie malgré vous, et que nous sommes en Afrique les maîtres de la campagne, les affaires ne sont plus sur le même pied. Bien plus, quoique vos citoyens fussent vaincus, nous avons bien voulu, à leur prière, faire une espèce de traité avec eux. Nos articles ont été mis par écrit, lesquels, outre ceux que vous proposez, étaient : que les Carthaginois nous rendraient nos prisonniers sans rançon, qu’ils nous livreraient leurs vaisseaux pontés, qu’ils nous payeraient cinq mille talens, et qu’ils fourniraient sur tout cela des ôtages. Telles sont les conditions dont nous étions convenus. Nous avons envoyé à Rome les uns et les autres pour les faire ratifier par le sénat et par le peuple, témoignant que nous les approuvions, et les Carthaginois demandant avec instance qu’elles leur fussent accordées. Et après que le