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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/828

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POLYBE, LIV. XVI.

Je donne cet avis, parce que dans les autres arts et dans les sciences, comme dans l’histoire, on néglige le vrai et l’utile, et qu’on ne recherche que le brillant et ce qui flatte l’imagination. On loue ces sortes de productions ; on les admire ; ce sont pourtant celles qui coûtent le moins et qui font le moins d’honneur. J’en atteste les peintres.

Au reste, à l’égard des fautes de géographie que nous venons de relever, comme elles sautaient aux yeux, j’en ai écrit à Zénon même ; car il n’est pas d’un galant homme de tirer avantage des fautes d’autrui pour se faire de la réputation à ses dépens. C’est cependant un procédé assez ordinaire. Mais, loin d’en agir ainsi, je crois qu’en vue de l’utilité publique nous devons, autant qu’il est possible, non-seulement travailler nos ouvrages avec soin, mais encore aider les autres à rectifier les leurs. Par malheur, cet historien reçut ma lettre trop tard. L’histoire était déjà répandue dans le public. Il n’était plus possible d’y rien changer : il en fut au désespoir, mais du reste il prit en très-bonne part les avis que j’avais pris la liberté de lui donner. Je prie ceux qui, dans la suite, me liront de tenir la même conduite à mon égard. S’ils s’aperçoivent que j’aie quelque part menti à dessein ou dissimulé la vérité en la connaissant, qu’ils me condamnent sans miséricorde ; mais si je n’ai manqué que faute d’avoir été instruit de certaines choses, je leur demande grâce. Dans un ouvrage si vaste et qui embrasse tant de choses, il n’est pas aisé d’être également exact en tout. (Vertus et Vices.) Dom Thuillier.


III.


Tlépolème.


Tlépolème était encore jeune lorsqu’en Égypte il fut honoré du ministère. Il avait porté les armes toute sa vie, et avait fait grande figure dans les armées. Il était naturellement hautain et avide de gloire. Pour les affaires, il avait beaucoup de bonnes et beaucoup de mauvaises qualités. Brave et vigoureux, il savait commander une armée, bien conduire une expédition, manier les esprits des soldats et les amener où il voulait ; mais personne n’était moins propre aux affaires qui demandent de l’étude et de l’attention, personne n’entendait moins les finances : aussi sa fortune fut-elle de peu de durée. Le royaume se sentit bientôt de sa prodigalité. Il ne se vit pas plutôt maître des coffres du roi, qu’il passa la plus grande partie des jours à jouer à la paume et à disputer avec des jeunes gens à qui brillerait davantage dans les exercices militaires. Il leur donnait ensuite de grands repas. C’étaient là ses occupations et ses compagnies ordinaires. Quand il faisait tant que de donner quelque audience sur les affaires de l’état, c’était alors qu’il répandait à pleines mains et qu’il dissipait l’argent de son maître. Il en donnait avec profusion aux députés de la Grèce, aux artisans de Bacchus, et surtout aux officiers de l’armée et aux soldats. Il ne savait pas ce que c’était que de refuser. Il payait grassement les louanges, de quelque part qu’elles lui vinssent. Par là, il s’exposa à des dépenses beaucoup plus considérables ; car on ne le loua pas seulement pour les bienfaits qu’on avait reçus, sans qu’on s’y attendît, mais encore pour ceux qu’on espérait recevoir dans la suite. C’était de tous côtés à qui le louerait davantage ; on n’entendait partout que les éloges de Tlépolème ; dans tous les repas, on buvait à sa santé ; la ville était pleine d’inscriptions en son honneur ; toutes les rues