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POLYBE, LIV. XX.

tribution des dépouilles d’Héraclée. Il leur accorda une trève de dix jours, et leur dit qu’il ferait partir avec eux Lucius, à qui ils n’auraient qu’à déclarer leurs intentions. Lucius arrive avec eux à Hypate ; les conférences se tiennent : les Étoliens, pour justifier leur mécontentement, rappellent les services qu’ils avaient rendus aux Romains. Mais Lucius les interrompant, leur dit que cette sorte d’apologie n’était plus de saison ; qu’ils avaient rompu avec les Romains ; qu’ils s’étaient attiré eux-mêmes la haine qu’on avait pour eux ; que leurs services passés leur étaient maintenant inutiles ; qu’il ne leur restait qu’un moyen de se remettre bien avec les Romains, qui était de recourir aux prières et de supplier le consul d’oublier et de pardonner les excès où ils étaient tombés. Les Étoliens, après avoir long-temps délibéré sur cette affaire, résolurent enfin de laisser le tout à la discrétion de Manius, et de s’abandonner à la foi des Romains, sans savoir à quoi il s’engageaient, et ne prétendant par là que se rendre Lucius plus favorable. En quoi ils s’abusaient grossièrement ; car chez les Romains s’abandonner à la foi, c’est se soumettre absolument au vainqueur.

Le décret ratifié, ils envoyèrent Phénéas avec Lucius pour faire connaître au consul ce qui avait été résolu. Présenté à Manius, après avoir dit quelque chose pour la défense des Étoliens, il conclut en disant qu’il avait été réglé chez eux qu’ils s’abandonneraient à la foi des Romains. « Cela est-il ainsi ? » reprit le consul. Quand ils l’en eurent assuré : « Hé bien, continua le consul, il faudra donc qu’il ne passe en Asie aucun Étolien, soit comme particulier, soit comme homme public ; en second lieu, que vous me livriez Dicéarque, et Ménestrate Épirote (qu’on disait être entré dans Naupacte avec des troupes), et avec Amynandre et ceux des Athamaniens qui l’ont suivi dans sa révolte contre les Romains. » Phénéas ne lui permit pas d’aller plus loin. « Ce que vous me demandez, lui dit-il, n’est ni juste ni selon l’usage des Grecs. » Ici Manius haussant le ton, moins par colère, que pour faire sentir aux députés à quoi les Étoliens étaient réduits et leur inspirer une extrême teneur : « Il vous sied bien vraiment, petits Grecs, répondit-il, de m’alléguer vos usages, et de m’avertir de ce qu’il me convient de faire, après vous être abandonnés à ma foi. Savez-vous qu’il dépend de moi de vous charger de chaînes ? » Et sur-le-champ il en fit apporter, ainsi qu’un collier de fer qu’il ordonna qu’on leur mît au cou. Phénéas et les autres députés furent si effrayés, que leurs genoux ployaient, et qu’ils étaient tout hors d’eux-mêmes. Lucius et quelques autres tribuns qui étaient présens prièrent Manius d’avoir des égards pour le caractère d ambassadeur dont ces Grecs étaient revêtus, et de ne pas les traiter en rigueur. Le consul se radoucit et laissa parler Phénéas, qui dit que les magistrats des Étoliens feraient tout ce qui leur était ordonné ; mais que les ordres devaient être portés au peuple, si l’on voulait qu’ils fussent exécutés, et qu’il demandait pour cela une nouvelle trève de dix jours. Cela lui fut accordé, et on se sépara.

Les ambassadeurs, de retour à Hypate, rapportèrent aux magistrats tout ce qui leur était arrivé et tout ce qui leur avait été dit. Ce fut alors que les Étoliens sentirent à quoi ils étaient exposés, faute d’avoir connu ce qu’ils faisaient en s’abandonnant à la foi des Romains. Aussitôt on écrivit aux villes, on convoqua la nation pour délibérer sur les ordres qu’on leur donnait. Mais