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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/882

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POLYBE, LIV. XXII.

tion. On alla au-devant de lui et on lui fit des présens magnifiques. Après lui les Rhodiens reçurent les plus grands honneurs. Le jour de l’audience venu, Eumène fut le premier introduit dans le sénat, et on lui dit de déclarer avec pleine liberté ce qu’il souhaitait. Le roi répondit que s’il avait quelque grâce à attendre d’un ami il prendrait conseil des Romains, de peur qu’il ne lui arrivât ou de souhaiter quelque chose contre la justice, ou de demander au-delà de ce qu’il conviendrait ; mais maintenant que c’était aux Romains qu’il avait à demander, il croyait n’avoir rien de mieux à faire que de remettre ses intérêts et ceux de ses frères entre leurs mains. À ces mots, un sénateur se lève et lui dit de ne rien craindre et de s’expliquer hardiment sur ce qu’il voulait, parce que l’intention du sénat était de lui accorder tout ce dont il pourrait disposer. Mais Eumène, quelque instance qu’on lui fit, refusa toujours de parler et se retira. Le sénat, après avoir délibéré sur ce qu’il était à propos de faire, fut d’avis qu’on rappelât Eumène et qu’on le pressât d’expliquer pourquoi il était venu, puisqu’il savait mieux que personne ce qui lui convenait, et qu’il était au fait des affaires de l’Asie. Le roi rentra donc de nouveau dans le sénat, et quelqu’un de cette assemblée lui ayant dit ce qui venait d’y être résolu, il ne put se dispenser de dire ce qu’il pensait sur la situation présente des affaires.

« Sur ce qui me regarde en particulier, dit-il, je persiste, pères conscrits, dans la résolution que j’ai prise de vous laisser pleine liberté d’en décider comme il vous plaira. Mais une chose m’inquiète à l’égard des Rhodiens, et je ne puis vous la dissimuler. Ils viennent ici avec non moins de zèle et d’ardeur pour les intérêts de leur patrie que j’en ai pour ceux de mon royaume ; mais le discours qu’ils vous préparent donne des choses une idée bien différente de ce qu’elles sont en effet. Il vous est aisé de vous en convaincre vous-mêmes ; car ils commenceront par vous dire qu’ils ne sont venus à Rome ni pour vous rien demander, ni dans le dessein de vous porter le moindre préjudice, mais seulement pour obtenir de vous la liberté des Grecs qui sont établis dans l’Asie. Ils ajouteront que ce bienfait, quelque agréable qu’il doive leur être, sera encore plus digne de vous et de la générosité que vous avez déjà eue pour les autres Grecs. Voilà de beaux dehors, de belles apparences, mais dans le fond rien n’est moins conforme à la vérité ; car, si ces villes sont mises en liberté, comme ils vous en sollicitent, leur puissance en sera infiniment augmentée, et la mienne en quelque sorte anéantie. Dès qu’il sera public dans nos contrées que vous voulez que les villes soient libres, ce nom seul de liberté, cet avantage d’être gouverné par ses propres lois soustraira de ma domination non-seulement les peuples qui seront mis en liberté, mais encore ceux qui auparavant m’étaient soumis ; car tel est le train que prendra cette affaire : on croira leur devoir sa liberté, on fera profession d’être leurs alliés, et par reconnaissance pour un si grand bienfait on se croira obligé d’obéir à tous les ordres qu’ils enverront. Je vous prie donc, pères conscrits, de vous observer soigneusement sur ce point, de peur que, sans y penser, vous n’ajoutiez trop à la puissance de quelques-uns, et que vous ne retranchiez imprudemment de celle de vos amis ; que vous ne fassiez du bien à ceux qui ont pris