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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/904

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POLYBE, LIV. XXIII.

de six vingts talens, vantèrent fort la bienveillance et l’amitié qu’avait leur maître pour les Achéens. Quand ils eurent fini, le Sicyonien Apollonius se leva et dit que le présent que le roi de Pergame offrait, à le regarder en lui-même, était digne des Achéens ; mais que si l’on faisait attention au but qu’Eumène se proposait et à l’utilité qu’il se promettait de tirer de sa libéralité, la république ne pouvait accepter ce présent sans se couvrir d’infamie et sans commettre le plus énorme des crimes ; que ce dernier inconvénient était hors de doute, puisque la loi défendant à tout particulier, soit du peuple, soit d’entre les magistrats, de rien recevoir d’un roi sous quelque prétexte que ce soit, la transgression serait beaucoup plus criminelle si la république en corps acceptait les offres d’Eumène ; qu’à l’égard de l’infamie, elle était sensible et sautait aux yeux : car quoi de plus honteux pour un conseil, que de recevoir d’un roi chaque année de quoi se nourrir, et de ne s’assembler, pour délibérer sur les affaires publiques, qu’après s’être pour ainsi dire enivré à sa table ; que cela nuirait aussi beaucoup aux affaires de la patrie ; qu’après Eumène, Prusias ne manquerait pas aussi de faire des largesses, et Séleucus après Prusias ; que les intérêts des rois étant d’une autre nature que ceux des républiques, et dans celles-ci les délibérations les plus importantes roulant presque toujours sur des contestations qu’on avait avec les rois, il arriverait nécessairement de deux choses l’une, ou que les Achéens feraient l’avantage de ces princes au préjudice de la nation, ou qu’ils se rendraient coupables d’une noire ingratitude envers leurs bienfaiteurs. Il finit en exhortant les Achéens non-seulement à refuser le présent qu’on leur offrait, mais encore à détester Eumène pour s’être avisé de cet expédient pour les corrompre.

Après Apollonius, l’Éginète Cassandre prit la parole, et fit convenir les Achéens, que ses compatriotes n’étaient tombés dans le malheureux état où ils se voyaient, que parce qu’ils vivaient sous leurs lois. Nous avons vu, en effet, que Publius Sulpicius étant venu à Égine en avait vendu tous les habitans, et que les Étoliens, en vertu d’un traité fait entre eux et les Romains, devenus maîtres de cette ville, l’avaient livrée à Attalus pour la somme de trente talens ; d’où Cassandre concluait qu’Eumène, au lieu d’acheter à prix d’argent l’amitié des Achéens, avait, en leur rendant Égine, un moyen sûr de se gagner tous les cœurs de la nation. Il conjura ensuite les Achéens de ne pas se laisser toucher par les offres d’Eumène ; que s’ils avaient la faiblesse de les accepter, les Éginètes perdaient toute espérance d’être jamais remis en liberté. Ces deux discours firent une si forte impression sur la multitude, que personne n’osa prendre la défense du roi de Pergame. Tous rejetèrent, avec de grands cris, sa proposition, quelque éblouissante que fût la somme d’argent qu’il offrait.

On appela ensuite Lycortas et les autres ambassadeurs qui avaient été envoyés à Ptolémée, et l’on fit la lecture du décret fait par ce prince pour le renouvellement de l’alliance. Lycortas, après avoir dit qu’il avait prêté serment au roi au nom des Achéens et reçu les siens, ajouta qu’il apportait, de la part de Ptolémée à la république, six mille boucliers d’airain pour armer les Peltastes, et deux cents talens d’airain monnayé, et il finit par un court éloge de la bienveillance et de l’amitié que ce prince avait pour la nation achéenne ; après quoi le préteur Aristène, se levant, de-