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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/96

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tience ; toutefois quand ils passèrent la Trebbia, enflée ce jour là par les torrens des montagnes voisines, l’eau qui montait jusque sous leurs aisselles les affaiblit beaucoup.

Voulant masquer sa disposition, Annibal fit marcher ses troupes légères au nombre d’environ huit mille ; et les suivit à la tête de toute l’armée. Elle fut rangée sur une seule ligne. Son infanterie, qui comptait vingt mille combattans, gaulois, espagnols, africains, occupa le centre. La cavalerie, avec les Gaulois alliés, montait à plus de dix mille hommes, elle fut distribuée sur les ailes ; Annibal étendit sa ligne de bataille au moyen de troupes légères placées à droite et à gauche de son infanterie pesante, et couvertes par ses éléphans.

Les Carthaginois, frais et vigoureux, avaient de grands avantages sur leurs adversaires, exténués par le froid et le besoin de nourriture. Dès que les troupes légères se furent retirées de part et d’autre, la cavalerie carthaginoise chargea les cavaliers légionnaires avec tant de force et d’impétuosité, qu’en un moment elle les enfonça et les mit en fuite. Les ailes de l’infanterie romaine étant découvertes, furent à la merci des troupes légères carthaginoises et des cavaliers Numides qui les pressèrent sur les côtés et les derrières, tandis que les éléphans les écrasaient sur leur front.

Au corps de bataille, les princes s’étaient enchâssés dans les intervalles des hastaires, pour ne former qu’une seule ligne ; on résista mieux à l’infanterie carthaginoise, et l’on se battit avec plus d’égalité.

C’est alors que Magon, sortant de son embuscade, fondit sur les derrières de l’armée et la prit en queue. L’attaque porta sur les triaires qui formaient la réserve ; ils ne purent tenir contre cette charge, et furent renversés.

Cependant le centre de la première ligne se faisait ressource de son courage ; les hastaires et les princes percèrent, au nombre de dix mille, à travers les Gaulois et les Africains. Tout était perdu sur les ailes ; ils prirent le parti de repasser la Trebbia, en ralliant les traînards, et se dirigèrent sur Plaisance. L’ennemi les poursuivit jusqu’à la rivière et n’osa la traverser (ans 535 de Rome ; 219 avant notre ère.).

La perte des Carthaginois n’était pourtant pas considérable : un petit nombre d’Espagnols, quelques Africains seulement se voyaient sur le champ de bataille ; le plus grand mal portait sur les Gaulois. Mais toute l’armée souffrait beaucoup de la neige et du froid.

Sempronius, voulant cacher sa défaite, fit annoncer à Rome qu’une bataille s’était livrée, et que le mauvais temps en rendait le succès incertain. Quand l’obscurité de cette dépêche n’eût pas donné de l’inquiétude, les détails qui arrivèrent de toutes parts produisirent bientôt le plus profond abattement.

Deux armées consulaires réunies et battues ; les alliés dispersés ; le camp pillé ; les Gaulois faisant alliance avec Carthage ; étaient des événemens si nouveaux à Rome, qu’ils semblaient présager la ruine entière de l’État.

Tel avait été le résultat de la première campagne d’Annibal. Mais il semblait que son génie maîtrisât seul la fortune de Carthage ; loin de sa présence, elle n’éprouvait que des revers. Plus heureux ou plus habile que les généraux qui commandaient en Italie, Cn. Scipion opérait en Espagne une diversion avantageuse. Vainqueur de Hannon qu’il tenait prisonnier, il soumit, par la force de ses armes, tous les peuples situés entre l’Èbre et les Pyrénées.