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HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1871

Comité Central ; il se passait en ce moment d’étranges scènes à la Guerre. Les chefs de légion qui s’agitaient de plus en plus contre Rossel avaient, ce jour-là, résolu d’aller lui demander le rapport de toutes les décisions qu’il préparait sur la garde nationale. Rossel connut leur projet et, en arrivant au ministère, ils trouvèrent dans la cour un peloton sous les armes. Le délégué, de sa croisée, les regardait venir : « Vous avez de l’audace, leur dit-il. Savez-vous que ce peloton est là pour vous fusiller ! » Eux, sans trop s’émouvoir : « Il n’est pas besoin d’audace ; nous venons tout simplement vous parler de l’organisation de la garde nationale. » Rossel se détend et va dire : « Qu’on fasse rentrer le peloton ! » Cette démonstration burlesque eut son effet. Les chefs de légion combattirent le projet sur les régiments, en démontrèrent l’impossibilité. Rossel las de lutter : « Je sais bien que je n’ai pas la force, mais je soutiens que vous ne l’avez pas non plus… Si, dites-vous ?… Eh bien ! donnez-m’en la preuve. Demain, à onze heures, amenez-moi place de la Concorde douze mille hommes et je tenterai quelque chose. » Il voulait faire une attaque par la gare de Clamart. Les chefs de légion s’engagèrent et coururent toute la nuit pour rassembler des bataillons.

Pendant ces démêlés, on évacuait le fort d’Issy. Il râlait depuis le matin. Tout homme qui apparaissait aux pièces était mort. Sur le soir, les officiers se réunirent et reconnurent qu’on ne pouvait tenir ; leurs hommes chassés de tous côtés par les obus se massaient sous la voûte d’entrée ; un obus du Moulin-de-Pierre tomba au milieu et en tua seize. Rist, Julien et plusieurs qui voulaient, malgré tout, s’obstiner dans ces débris, furent forcés de céder. Vers sept heures, l’évacuation commença. Le commandant Lisbonne, d’une grande bravoure, protégea la retraite qui se fit au milieu des balles.

Quelques heures après, les Versaillais, traversant la Seine, s’établissaient en avant de Boulogne devant les bastions du Point-du-Jour et ouvraient une tranchée à trois cents mètres de l’enceinte. Toute cette nuit et la matinée du 9, la Guerre et le Comité du salut public ignorèrent l’évacuation du fort.