Page:Lissagaray - Histoire de la Commune de 1871, MS.djvu/357

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
343
HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1871

Deux ou trois officiers de sang-froid libellent les ordres, timbrent, expédient les dépêches. Beaucoup d’officiers et de gardes entourent la table. Nul discours ; quelques conversations par groupes. Si l’espoir a pâli, la résolution n’a pas diminué.

Quels sont ces officiers qui ont quitté leur uniforme, ces membres de la Commune, ces fonctionnaires qui ont rasé leur barbe ? Que viennent-ils faire ici parmi les braves ? Ranvier, qui rencontre ainsi déguisés deux de ses collègues des plus empanachés pendant le siège, menace de les faire fusiller, s’ils ne vont aussitôt dans leurs arrondissements.

Un grand exemple ne serait pas inutile. D’heure en heure toute discipline sombre. Le Comité Central, qui se croit investi du pouvoir par l’abdication du Conseil, a lancé un manifeste où il fait des conditions : Dissolution de l’Assemblée et de la Commune ; l’armée quittera Paris ; le Gouvernement sera provisoirement confié aux délégués des grandes villes qui feront élire une Constituante ; amnistie réciproque. — Un ultimatum de vainqueur. Ce rêve fut affiché sur quelques murs et jeta un nouveau désarroi dans la résistance.

De temps en temps, quelque clameur s’élève de la place ; on fusille un espion contre la barricade de l’avenue Victoria. Quelques-uns payent d’audace et pénètrent dans les conseils les plus intimes [1]. Ce soir, à l’Hôtel-de-Ville qui a envoyé à Bergeret l’autorisation verbale d’incendier les Tuileries, un individu se présente réclamant cet ordre par écrit. Il parle encore lorsque Bergeret rentre. * Qui vous a envoyé ? » dit-il au personnage. — « Bergeret. » — « Où l’avez-vous vu ? » — « À côté, il n’y a qu’un instant. »

Dans cette nuit, vers deux heures, Raoul Rigault, ne prenant d’ordre que de lui seul et sans consulter aucun de ses collègues, se rendit à la prison de Sainte-Pélagie, dirigée par le frère de Ranvier, d’une exaltation fiévreuse et qui se pendit le surlendemain. Raoul Rigault prétendit avoir des ordres, se fit amener Chaudey et lui signifia qu’il allait mourir. Chaudey n’y

  1. Appendice XIX.