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HISTOIRE DE LA COMMUNE DE 1871

le capitaine d’armes du Breslaw les traitait en forçats. À Cherbourg, un des lieutenants du Tage, Clemenceau, se montra féroce. Le commandant du Bayard fit de son vaisseau un diminutif de l’Orangerie. Les flancs de ce navire ont abrité les actes les plus abominables qui aient souillé l’histoire de la marine française. Le silence absolu était la règle du bord. Dès qu’on parlait dans les cages, la garde menaçait ; elle tira plusieurs fois. Pour une réclamation, un simple oubli du règlement, les prisonniers étaient attachés aux barreaux des cages par les chevilles et les poignets.

Les cachots de terre ferme furent aussi cruels que les pontons. À Quélern, près de Brest, ils enfermèrent jusqu’à quarante prisonniers dans la même casemate. Celles du bas donnaient la mort. Les fosses d’aisance « y suintaient leur contenu et, le matin, l’essence fécale couvrait le plancher à deux pouces de hauteur ». Il y avait à côté des logements salubres et disponibles ; on ne voulut pas y transférer les prisonniers. Jules Simon vint, « trouva que ses anciens électeurs avaient fort mauvaise mine, et décida qu’on aurait recours à la sévérité. » Élisée Reclus avait ouvert une école et tiré de l’ignorance 151 détenus qui ne savaient ni lire ni écrire. Le ministre de l’Instruction publique fit fermer ce cours ainsi que la petite bibliothèque créée par les détenus.

Les prisonniers des forts, comme ceux des pontons, étaient nourris de biscuit et de lard. Plus tard, on ajouta de la soupe et du bouilli tous les dimanches. Les couteaux et les fourchettes étaient interdits. On batailla plusieurs jours pour obtenir des cuillers. Les bénéfices du cantinier qui, d’après le cahier des charges devaient être limités à un dixième, atteignirent « jusqu’à 500 pour cent. »

Au fort Boyard, les hommes et les femmes étaient parqués dans le même enclos, séparés par une claire-voie, les femmes contraintes de faire leurs ablutions sous l’œil des sentinelles. Parfois les maris se trouvaient dans l’enclos voisin. « On remarque, écrivait un prisonnier, une jeune et belle femme de vingt ans qui tombe en faiblesse chaque fois qu’on la force à se déshabiller. »