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APPENDICE

çant vers Millière, il lui dit quelques mots et d’un geste lui montra le ciel.

« Sans ostentation, mais avec une attitude très calme et très ferme, Millière parut le remercier et secoua la tête en signe de refus. Le prêtre se retira.

« Deux officiers débouchèrent du palais et s’adressèrent au prisonnier. L’un d’eux que le premier paraissait guider, lui parla pendant une minute ou deux. Nous entendions le son des voix sans comprendre les paroles échangées, puis j’entendis ce commandement : « Au Panthéon »

« Le piquet se reforma autour de Millière, qui se couvrit, et le cortège remonta la rue de Vaugirard, se dirigeant vers le Panthéon.

« Nous arrivâmes en même temps que le piquet auprès de la grille. La porte s’ouvrit et se referma sur lui… Plaçant mes pieds sur la balustrade en pierre, j’avais croisé mes deux bras autour du sommet de ces barreaux ; ma tête les dominait, car cette grille est basse… À mes côtés, un soldat de faction à l’intérieur répondait à deux filles qui le questionnaient ; son coude, appuyé à la grille, touchait le mien.

« Le piquet de troupe s’était arrêté et presque adossé à la porte refermée. Millière fut conduit entre les deux colonnes du milieu. Arrivé à l’endroit où il devait mourir et après avoir monté la dernière marche de l’escalier, il échangea quelques mots avec l’officier. Fouillant la poche de sa redingote qu’il venait de déboutonner, il en sortit un objet que je crus être une lettre et le lui tendit ainsi qu’une montre ou un médaillon. L’officier les prit, puis saisit Millière et le plaça de façon à ce qu’il fût fusillé par derrière. Ce dernier se retourna d’un geste brusque et, les bras croisés, fit face à la troupe. C’est le seul mouvement d’indignation et de colère que je lui ai vu faire.

« Quelques paroles furent encore échangées. Millière paraissait refuser d’obéir à un ordre. L’officier descendit. Un instant après, un soldat saisissait à l’épaule celui qu’on allait fusiller et le forçait à plier le genou gauche sur la dalle.

" Une moitié des fusils du peloton s’abaissa seule sur lui ; les autres restèrent au bras des soldats. Pendant ce temps et croyant la dernière minute venue, Millière poussa par trois fois le cri de : Vive la République !

« L’officier, s’approchant du piquet de troupe, fit redresser les fusils qui s’étaient trop hâtivement abaissés. Puis il indiqua avec son épée comment allait être donné ordre du feu.