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APPENDICE

basse, en ponctuant chacune de ses phrases d’une sorte de hoquet nerveux : « — Oui, la Commune a commis des fautes… Elle s’est perdue en chemin… Ce n’est pas cela qu’il fallait faire… Ils n’ont pas su résoudre le problème… »

« Il prit sa tête entre ses deux mains comme s’il eût voulu comprimer les pensées tumultueuses qui l’assiégeaient, puis, redressant tout son corps dans une fière attitude, le bras levé, le visage illuminé, d’une voix claire et grave, il s’écria hautement : « — Moi, je suis pour la République universelle et pour l’égalité parmi les hommes ! »

« Cette scène m’avait profondément ému. Je ne connaissais que fort peu Tony-Moilin, mais je l’avais maintes fois rencontré depuis 1868 dans les réunions publiques. Je le savais épris des idées de réforme sociale, mais aussi animé d’un esprit paradoxal et quelque peu chimérique ; sentimental à l’excès, doux et bienveillant, on sentait en lui la foi d’un apôtre.

« Le président avait repris la parole, « — Les principes que vous énoncez ne font que confirmer les renseignements que nous avons sur votre compte ; du reste la notoriété attachée à votre nom suffirait à nous convaincre. Vous êtes l’un des chefs du socialisme et un des hommes les plus dangereux : ces gens-là, on s’en débarrasse. Avez-vous quelque chose à ajouter à votre défense ? »

« L’accusé leva les yeux surpris et fit un geste négatif. Il y eut une courte délibération ; le président se leva et d’une voix où perçait l’émotion : « — ; Monsieur, dit-il solennellement, vous êtes condamné à être passé par les armes ; il vous sera donné signification du jugement. »

« J’avais oublié, en cet instant, ma propre situation et, plein de pitié et d’angoisse, le cœur oppressé au point de se rompre, je regardais de tous mes yeux cet homme qui allait mourir. Le visage était contracté et le tic nerveux que j’ai déjà signalé avait reparu ; ce fut cependant d’un accent contenu qu’il reprit la parole : « — Messieurs, en ce moment je laisse une compagne, ma femme. Me sera-t-il permis avant ma mort de régulariser ma position vis-à-vis d’elle et devant la loi ? » — Il fit une pause, puis avec un léger tremblement dans la voix et un visible effort pour cacher son trouble, il ajouta : « — Messieurs, j’y tiendrais beaucoup. »

« — Si cela est possible, dit le président, soyez certain que cela sera fait ; maintenant retirez-vous. »

Quelques heures après, Tony-Moilin fut conduit dans le jardin du Luxembourg et fusillé. Son corps, que sa