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Page:Lissagaray - Les huit journees de mai, Petit Journal Bruxelles, 1871.djvu/131

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à la hâte, pour suivre le délégué. Quelques-uns de nous allèrent chercher des munitions à l’église Saint-Ambroise ; puis nous rencontrâmes un de nos amis, riche négociant d’Alsace, venu depuis cinq jours à Paris, et qui, ayant toute la journée fait le coup de feu à la barricade, s’en retournait le bras traversé ; plus loin, Vermorel, que ses collègues Theisz et Avrial emportaient presque mort sur une civière, laissant derrière lui de grosses gouttes de sang. Nous perdîmes ainsi un peu de temps, et nous dûmes courir pour nous rapprocher de Delescluze. A cinquante mètres environ de la barricade, les gardes qui l’accompagnaient s’effacèrent précipitamment, car les balles et les obus pleuvaient à l’entrée du boulevard.

Delescluze, lui, continua de marcher. La scène est là, gravée à tout jamais dans notre mémoire. Le soleil se couchait. Delescluze, sans regarder s’il était suivi, s’avançait du même pas. Nous le voyions distinctement à cent mètres, le seul être humain sur le boulevard. Arrivé à la barricade, il obliqua à gauche et gravit les pavés. Pour la dernière fois, sa face austère, encadrée dans sa barbe blanche, nous apparut tournée vers la mort. Tout à coup il disparut : il venait de tomber comme foudroyé sur la place du Château-d’Eau,