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Page:Liszt - Pages romantiques, 1912, éd. Chantavoine.djvu/130

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brûlant de la femme aimée se posera sur lui avec une placide indifférence. Heureux enfin qui sait briser avec les choses avant d’être brisé par elles !

C’est à l’artiste surtout qu’il convient de dresser sa tente pour une heure, et de ne se bâtir nulle part de demeure solide. N’est-il pas toujours étranger parmi les hommes ? sa patrie n’est-elle pas ailleurs ? Quoi qu’il fasse, où qu’il aille, partout, il se sent exilé. Il lui semble qu’il a connu un ciel plus pur, un soleil plus chaud, des êtres meilleurs. Que peut-il donc faire pour tromper ses vagues tristesses et ses regrets indéterminés ? Il faut qu’il chante et qu’il passe, qu’il traverse la foule en lui jetant sa pensée, sans s’inquiéter où elle va tomber, sans écouter de quelles clameurs on l’étouffe, sans regarder de quels lauriers dérisoires on la couvre. Triste et grande destinée que celle de l’artiste ! Il naît marqué d’un sceau de prédestination. Il ne choisit point sa vocation, sa vocation s’empare de lui et l’entraîne. Quelles que soient les circonstances contraires, les oppositions de la famille, du monde, les sombres étreintes de la misère, les obstacles en apparence insurmontables, sa volonté, toujours debout, reste invariablement tournée vers le pôle ; et le pôle, pour lui, c’est l’art, c’est la reproduction sensible de ce qu’il y a de mystérieusement divin dans l’homme et dans la création. — L’artiste vit solitaire. Si les événements le jettent au sein de la société, il crée à son âme, au milieu de ces bruits discordants, une solitude impéné-