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Page:Liszt - Pages romantiques, 1912, éd. Chantavoine.djvu/242

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par le thé vert et par la fantasmagorie de la fête me firent voir tout éveillé une apparition surnaturelle ; ce qui est certain, c’est qu’au bout de très peu de temps, je perdis la conscience des réalités, le sentiment des lieux et du temps, et que je me vis tout à coup seul, errant dans un pays inconnu, au bord d’une mer agitée, sur une grève déserte. Comme je faisais de vains efforts pour me rappeler de quelle manière et par quelle voie j’étais arrivé là, j’aperçus à quelques pas de moi, marchant sur le sable du rivage, une figure d’homme, grande, sérieuse, pensive. Cet homme était jeune encore ; pourtant son visage était pâle, son regard profond, ses joues amaigries. Il regardait à l’horizon avec une indicible expression d’anxiété et d’espérance. Une force magnétique m’attira sur ses traces. Il ne parut pas s’apercevoir que quelqu’un le suivit, et continua de marcher sans s’arrêter. Quoique son pas fût lent et mesuré, il franchissait par un mystère effrayant des distances incommensurables, et laissait derrière lui plaines, montagnes, forêts, vallées. L’atteindre était impossible et pourtant je m’acharnais à le suivre. Plus j’allais et plus il me semblait que mon existence était attachée à la sienne, que son souffle animait ma vie, qu’il avait le secret de ma destinée, que nous devions lui et moi nous confondre, nous transformer. Bientôt le ciel, pur et radieux au commencement de notre course, s’obscurcit. La campagne se dénudait de plus en plus. Nous nous trouvâmes au milieu d’une