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de l’Origine des Idées. Liv. II.

idées qu’il a, par quels moyens & par quels dégrez elles peuvent venir dans l’Eſprit, ſur quoi j’en appellerai à ce que chacun peut obſerver & éprouver en ſoi-même.

§. 2.Toutes les Idées viennent par Senſation ou par Réflexion.
* Tabula raſa.
Suppoſons donc qu’au commencement l’Ame eſt ce qu’on appelle une Table raſe *, vuide de tous caractéres, ſans aucune idée, quelle qu’elle ſoit : Comment vient-elle à recevoir des Idées ? Par quel moyen en acquiert-elle cette prodigieuſe quantité que l’Imagination de l’homme, toûjours agiſſante & ſans bornes, lui préſente avec une variété preſque infinie ? D’où puiſe-t-elle tous ces materiaux qui ſont comme le fond de tous ſes raiſonnemens & de toutes ſes connoiſſances ? A cela je répons en un mot, De l’Experience : c’eſt-là le fondement de toutes nos connoiſſances ; & c’eſt de là qu’elles tirent leur prémiére origine. Les obſervations que nous faiſons ſur les Objets extérieurs & ſenſibles, ou ſur les opérations intérieures de notre Ame, que nous appercevons & ſur leſquelles nous reflechiſſons nous-mêmes, fourniſſent à notre Eſprit les materiaux de toutes ſes penſées. Ce ſont-là les deux ſources d’où découlent toutes les Idées que nous avons, ou que nous pouvons avoir naturellement.

§. 3.Objets de la ſenſation, prémiére ſource de nos Idées. Et prémiérement nos Sens étant frappez par certains Objets extérieurs, font entrer dans notre Ame pluſieurs perceptions diſtinctes des choſes, ſelon les diverſes maniéres dont ces objets agiſſent ſur nos Sens. C’eſt ainſi que nous acquerons les idées que nous avons du blanc, du jaune, du chaud, du froid, du dur, du mou, du doux, de l’amer, & de tout ce que nous appellons qualitez ſenſibles. Nos Sens, dis-je, font entrer toutes ces idées dans notre Ame, par où j’entens qu’ils font paſſer des objets exterieurs dans l’Ame ce qui y produit ces ſortes de perceptions. Et comme cette grande ſource de la plûpart des idées que nous avons, dépend entiérement de nos Sens, & ſe communique à l’Entendement par leur moyen, je l’appelle Sensation.

§. 4.Les Opérations de notre Eſprit, autre ſource d’Idées. L’autre ſource d’où l’Entendement vient à recevoir des Idées, c’eſt la perception des Opérations de notre Ame ſur les Idées qu’elle a reçuës par les Sens : opérations qui devant l’Objet des réflexions de l’Ame, produiſent dans l’Entendement une autre eſpéce d’idées, que les Objets extérieurs n’auroient pû lui fournir : telles que ſont les idées de ce qu’on appelle appercevoir, penſer, douter, croire, raiſonner, connoître, vouloir, & toutes les différentes actions de notre Ame, de l’exiſtence deſquelles étant pleinement convaincus parce que nous les trouvons en nous-mêmes, nous recevons par leur moyen des idées auſſi diſtinctes, que celles que les Corps produiſent en nous, lors qu’ils viennent à frapper nos Sens. C’eſt-là une ſource d’idées que chaque homme a toûjours en lui-même ; & quoi que cette Faculté ne ſoit pas un Sens, parce qu’elle n’a rien à faire avec les Objets extérieurs, elle en approche beaucoup, & le nom de Sens intérieur ne lui conviendroit pas mal. Mais comme j’appelle l’autre ſource de nos Idées Senſation, je nommerai celle-ci Reflexion, parce que l’Ame ne reçoit pas ſon moyen que les Idées qu’elle acquiert en reflechiſſant ſur ſes propres Opérations. C’eſt pourquoi je vous prie de remarquer, que dans la ſuite de ce Diſcours, j’entens par Reflexion la connoiſſance que l’Ame prend de