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Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/117

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De l’origine des idées.

nant à ſe fournir de plus en plus d’idées par le moyen des Sens, ſe reveille, pour ainſi dire, de plus en plus, & penſe davantage à meſure qu’elle a plus de matiére pour penſer. Quelque temps après, elle commence à connoître les objets qui ont fait ſur elle de fortes impreſſions à meſure qu’elle eſt plus familiariſée avec eux. C’eſt ainſi qu’un Enfant vient, par dégrez, à connoître les perſonnes avec qui il eſt tous les jours, & à les diſtinguer d’avec les Etrangers, ce qui montre en effet, qu’il commence à retenir & à diſtinguer les idées qui lui viennent par les Sens. Nous pouvons voir par même moyen comment l’Ame ſe perfectionne par dégrez de ce côté-là, auſſi bien que dans l’exercice des autres Facultez qu’elle a d’étendre ſes idées, de les compoſer, d’en former des abſtractions, de raiſonner & de reflechir ſur toutes ſes idées, de quoi j’aurai occaſion de parler plus particulierement dans la ſuite de ce Livre.

§. 23. Si donc on demande, Quand c’eſt que l’Homme commence d’avoir des idées, je croi que la véritable réponſe qu’on puiſſe faire, c’eſt de dire, Dès qu’il a quelque ſenſation. Car puisqu’il ne paroît aucune idée dans l’Ame, avant que les Sens y en ayent introduit, je conçois que l’Entendement commence à recevoir des Idées, juſtement dans le temps qu’il vient à recevoir des ſenſations, & par conſéquent que les idées commencent d’y être produites dans le même temps que la ſenſation, qui eſt une impreſſion, ou un mouvement excité dans quelque partie du Corps, qui produit quelque perception dans l’Entendement.

§. 24.Quelle eſt l’origine de tous nos connoiſſances. Voici donc, à mon avis, les deux ſources de toutes nos connoiſſances, l’Impreſſion que les Objets extérieurs font ſur nos Sens, & les propres Opérations de l’Ame concernant ces Impreſſions, ſur lesquelles elle reflechit comme ſur les véritables objets de ſes Contemplations. Ainſi la prémiére capacité de l’Entendement Humain conſiſte en ce que l’Ame eſt propre à recevoir les impreſſions qui ſe ſont en elle, ou par les Objets extérieurs à la faveur des Sens, ou par ſes propres Opérations lors qu’elle reflechit ſur ces Opérations. C’eſt-là le prémier pas que l’Homme fait vers la découverte des choſes quelles qu’elles ſoient. C’eſt ſur ce fondement que ſont établies toutes les notions qu’il aura jamais naturellement dans ce Monde. Toutes ces penſées ſublimes qui s’élevent au deſſus des nuës & pénétrent juſque dans les Cieux, tirent de là leur origine : & dans toute cette grande etenduë que l’Ame parcourt par ſes vaſtes ſpéculations, qui ſemblent l’élever ſi haut, elle ne paſſe point au delà des Idées que la Senſation ou la Reflexion lui préſentent pour être les objets de ſes contemplations.

§. 25.L’Entendement eſt pour l’ordinaire paſſif dans la reception des idées ſimples. L’eſprit eſt, à cet égard, purement paſſif ; & il n’eſt pas en ſon pouvoir d’avoir ou de n’avoir pas ces rudimens, &, pour ainſi dire, ces materiaux de connoiſſance. Car les idées particuliéres des Objets des Sens s’introduiſent dans notre Ame, ſoit que nous veuillions ou que nous ne veuillions pas ; & les Opérations de notre Entendement nous laiſſent pour le moins quelque notion obſcure d’elles-mêmes, perſonne ne